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16 juin 2014 1 16 /06 /juin /2014 19:57

Salut au peu de gens qui passent encore par ici, j'écris cet article pour vous dire que c'est la fin.

Je m'en vais.

Nan j'déconne. Plus sérieusement j'ai décidé d'abandonner ce blog. Je m'en suis crée un autre un peu plus... "sérieux" dira-t-on, où je publierais mes nouvelles mais sans doute aucun de mes originaux plus long.

Pourquoi me demanderez-vous ? Eh bien j'ai récemment commencez à écrire de manière un peu plus sérieuse et j'ai notamment soumise des nouvelles à de concours (de nouvelle ouais). J'ai gagné quelque trucs et c'est surtout ça que je mettrais la bas et c'est vraiment un blog que je veux donner à ma famille, mes amis ou même des connaissances pas forcément proche. Je n'ai donc pas envie qu'il soit en lien avec mon penchant slash/fanction, ce n'est pas quelque chose que j'aime partager aussi largement IRL, et donc j'ai fait cet autre blog où je ne suis pas sous pseudo.

Pour cette raison je ne laisse pas l'adresse ici, je vous la transmettrais bien sur si ça vous interesse. Je sais que cette ségrégation peut paraitre un peu excessive mais je tiens vraiment à ne pas mélanger Inrainbowz et ma vie IRL, je les ai toujours parfaitement dissocié ou presque jusqu'ici et je veux que ça continue. Il est possible que ça change dans le futur mais en attendant, c'est comme ça.

Le fait est aussi que je n'écris plus vraiment de slash en original, j'écris toujours baeucoup de fic mais je me concentre dans mes écrits sur des choses beaucoup plus longue, format roman.

Je vais sans doute transférer quelques trucs publié ici là bas donc ne vous étonnez pas si vous ne les voyez plus. Je les garde en brouillon pour ne pas supprimer les commentaires et je ne supprime pas le blog pour ne pas disparaitre d'un coup mais j'y passerais désormais très rarement (oui, encore plus rarement que ces derniers temps...).

Je vous remercie de m'avoir suivi, n'hésitez pas à me demander si vous souhaiter que ça continue, de toute façon je reste sur ff.net et deviantArt, ça ça ne change pas.

A plus !

Inrain

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27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 17:49

Alors voilà, c'est la fin. L'épilogue a son importance, c'est une sorte de conclusion, où tout reprend en quelque sorte sa place. Même s'il est un peu brouilllon et qu'on ne comprend pas vraiment tout, il est essentiel. Je vous remercie d'avoir lu jusque là - dites moi ce que vous en avez pensé - et on se retrouve pour mes prochaines histoires.

 

Bonne lecture !


 

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Epilogue

 

                Il fait froid, en ce soir de décembre. Non pas que je souffre réellement du froid bien sûr, mais je trouve tout de même cela désagréable. La nuit est tombée depuis un moment, il est donc l’heure pour nous de sortir sans crainte.

Cela va bientôt faire deux ans. Ça me rend un peu nostalgique. Il y a bientôt deux ans, je m’éveillais pour la première fois dans une chambre impersonnelle du manoir, perdu au milieu d’un vaste lit aux draps lisses et soyeux, sans identité et sans mémoire. Je me demande toujours ce que j’ai bien pu faire avant d’être transformée pour susciter autant d‘animosité chez mes semblables, surtout chez une certaine femme qui d’après ce que j’ai compris, aurait perdu son mari par ma faute. Je ne sais pas, j’ai cru comprendre que je l’avais tué alors que nous étions amis, ou quelque chose comme ça. Ça me parait un peu bizarre tout de même – comment un vampire et une humaine pourraient-ils être ami ? Il n’y que les films de science-fiction pour croire qu’une telle chose est possible. Toujours est-il que je ne suis pas très apprécié dans le domaine familial, mais ma mère a veillé à ce que je n’en ressente nullement les effets néfastes. Elle m’a choyé au-delà du raisonnable, d’une manière assez étouffante en fait. J’ai pourtant gardé un curieux sentiment de répulsion à son égard, quelque chose qui m’empêche définitivement de l’aimer. Idem pour Detroit, que je ne peux pas encadrer malgré tous mes efforts – peut-être pas très sincères, c’est vrai – et qui me le rend bien. En tout cas, ce soir, je fêterai mon second noël en tant que vampire.

                J’ai souhaité pour cela rester à Prague. La ville dont je porte le nom me provoque toujours des émotions très vives, d’une intensité délectable. Je n’ai pas vécu bien longtemps, pourtant j’ai l’impression d’avoir fait trop de chose, pour ces premiers mois d’existence. Nous sommes passés devant l’horloge, comme souvent. Qu’est-ce qu’elle peut être belle… Il neige doucement sur la ville illuminée. Je préfère largement être ici qu’assister aux fêtes pompeuses que donnent mes parents aux manoirs. Je n’ai jamais eu le sentiment d’appartenir à cet endroit. Alors qu’à Prague, je me sens chez moi. J’aimerais la voir à la lumière du soleil, rien qu’une fois. Mais c’est une chose que notre condition de vampire nous interdit. C’est peut-être mon seul regret, la seule chose que j’envierais jamais aux humains qui, du reste, sont d’un ennui mortel.

                La première personne que j’ai tué… c’était un garçon, un jeune homme d’une vingtaine d’année qui dormait dans sa voiture devant notre forêt. Je l’y ai trouvé le matin même de mon réveil, alors que la soif me tiraillait. C’est Sarajevo qui m’y a conduit. Elle est la première personne que j’ai rencontrée à mon réveil et elle a toujours été, depuis, près de moi. Heureusement. L’homme a fait une tête très bizarre, comme si il m‘avait reconnue, et c’était peut-être le cas, qui sait ? Ça me faisait une belle jambe.  

                Je suis venu avec mes deux « enfants ». Depuis que je les ai trouvés et mutés, ces deux-là, je ne m’en sépare plus, ce qui est assez surprenant pour être signalé étant donné que je ne supporte presque personne, à part Sara bien sûr, mais c’est différent. Le premier est un jeune garçon typé méditerranéen, que je croisais quelque fois au manoir en tant qu’humain à notre service, et l’autre est une fille de mon âge, ou en tout cas c’est ce que l’apparence nous dit. « Mandy » disait le pendentif accroché autour de son cou. Je les ai rencontrés lors de mon premier voyage à Prague, devant un garage de voiture, et j’ai immédiatement décidé de me les approprier tous les deux. Les humains à notre solde sont censés être protégé de ce genre de caprice, mais à ce moment-là, plus aucune règle n’avait pour moi le moindre intérêt. J’ai appelé le garçon Axel, et l’ai pris en temps qu’amant. Et la fille, Tiphaine, une sorte d’animal domestique, affectueuse et dévouée. Nous avons tout trois emménagé à Prague il y a quelques mois, dans un appartement du centre-ville, et je m’y sens vraiment chez moi, bien plus que n’importe où ailleurs.

                Cela fait un moment que nous déambulons tous les trois dans les rues éclairées de ma ville de « naissance », bercé par les chants de Noël et assailli par l’odeur du vin chaud. Mes deux créations sont les seuls qui m’accompagnent quand je me déplace, je ne m’entoure pas d’une armée de sous-fifres comme mon frère, Detroit, et je n’ai pas le syndrome « famille nombreuse » de notre mère, qui est obligée de se rendre dans des villes au nom harmonieux pour agrandir le nombre de ses « enfants » - il n’y a que les siens qu’elle nomme ainsi, les autres membres de notre clan ont au moins la chance d’avoir des prénoms qui existent.

                « Stef’ ! »               

Je me tourne subitement vers l’origine de cette voix. Un adolescent aux cheveux caramel court  vers un autre marchant un peu plus loin. Je ne sais pas pourquoi cette scène m’interpelle depuis l’autre côté de la rue. Je les trouve mignons. L’adolescent appelle son ami :

                « Stef’ ! »

L’interpellé se retourne.

                « Ax ! T’es en retard ! »

Axel, sans doute. Comme le mien.

                L’espace d’un très court instant, j’ai l’impression que le temps s’est figé. Je me suis arrêté, envouté. Tiphaine, Axel et moi, nous sommes debout de notre côté de la route, cet autre Axel et ce Stefane – je suppose – sur le trottoir d’en face. Quelques secondes où je sens nos cinq présences s’entremêlés furtivement, une sensation à peine perceptible qui me fait suivre avec attention le couple – car c’est un couple, c’est évident – d’adolescent qui s’éloigne à présent par là où nous sommes venus. Leurs mains s’effleurent avec douceur tandis qu’ils cheminent côte à côte, leur regards chargé de tendresse les trahissent. Le deuxième, celui qui a les cheveux très courts et des yeux dérangeants, comme les miens, se retourne un bref instant. Nos regards aux teintes semblables se croisent sans vraiment se voir. S’accrochent brièvement, puis se relâchent aussitôt. Il se détourne, et je fais de même.

                « Prague, ça va ? »

Je me retourne vers Tiphaine, inquiète comme toujours.

                « Ça va. Ne t’inquiète pas. »

Ce garçon portait un collier très marrant, en forme de dent de vampire. Je ne savais pas que ça existait.

Il faudrait que j’en trouve un pour Sarajevo. Pour lui arracher un sourire, elle qui est si avare d’expression et de parole. Elle semble me porter une affection sans borne. Moi je l’adore comme une sœur, vraiment. C’est bien la seule que je considère comme telle d’ailleurs. Detroit est insupportable et Carthage est supportable mais on ne le voit pratiquement jamais.

Notre mère rentrera bientôt de Johannesburg avec un nouveau frère pour nous. Je ne sais pas pourquoi elle tenait à aller là-bas. Déjà Prague, ou Carthage, ce n’est pas terrible.     

                Mais Johannesburg, est-ce un nom franchement ?

                Bah, on pourra toujours l’appeler Johann. En tout cas, moi, mon prochain « enfant », je l’appellerai Lukas.

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27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 01:12

  

Voilà, c'est le dernier chapitre. Après il ne restera plus que l'épilogue qui sera posté demain. Et après.... et bien je n'aurais plus qu'à poster d'autres fics ^^

 

Je vous préviens quand même que ce chapitre est vraiment… pas super drôle (euphémisme : figure de style qui consiste à atténuer ou adoucir une idée déplaisante). Je me suis exclusivement concentré sur les sentiments de Stef’ qui sont ici très denses, alors si ça vous semble un peu confus et parfois contradictoire, c’est normal (l’homme est plein de contradiction, non ?). Stef’, j’espère que tu me pardonneras.

 

Enjoy.

 

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Without,photo-earth (DA) 

 

Et parce qu'on nous ment : LIES

 

  Chapitre 14


 

                La fin atypique de cette histoire, c’est à moi qu’on la doit.

                On aurait pu s’arrêter là, on aurait pu croire que la suite était déjà toute tracée. C’était sans compter sur un élément essentiel : malgré tout ce que je peux en dire, nous ne sommes pas dans un film. Nous ne sommes pas emplis de bon sentiment, nous ne sommes pas heureux. Et je n’ai définitivement pas l’étoffe d’un personnage principal digne d’intérêt.

                Il y a quelques heures je courais avec Ax en direction de la route et de la liberté, d’une vie différente mais en sa compagnie, et me voilà enfermée dans une pièce sombre, une cage dans le sous-sol du manoir. Assise contre un mur de pierre froide suintant l’humidité, dans une pénombre qui m’effraie et me réconforte en même temps, j’attends patiemment ma fin en essayant de faire abstraction de la douleur qui me liquéfie le cerveau. Et mon choix me surprend vraiment.     

                Nous courions, Axel et moi, pour rejoindre Arman et quitter cet endroit. Et malgré moi, je réfléchissais à toute vitesse. Tiph’ ne se souviendrait de rien à son réveil, ni de lui ni de moi. D’ailleurs je n’avais – et je n’ai toujours pas – la certitude qu’il se réveillerait après une transformation aussi hasardeuse, même si je sais qu’il a été mordu plusieurs fois par Ax, malgré mon interdiction justifiée. Alors il devrait tout réapprendre, comme moi. Axel devrait s’occuper de nous deux, mais… le ferait-il ? Il ne restait rien dans ses yeux et ses gestes de l’affection qu’il avait pu me porter, seul comptait Tiphaine pour lui, du moins, c’était ma conclusion. L’affection ne survit pas à la transformation, je suppose.

                Alors pourquoi aller avec eux ?

                Une fois que l’idée est formulée, qu’elle a pris corps quelque part dans un coin de notre esprit, il n’est plus la peine d’espérer l’en déloger. Je me suis arrêtée de courir. J’ai ralentis progressivement pour finir par m’immobiliser tout à fait, stupéfié par le cours qu’avaient pris mes pensées.

                « Vas-y sans moi, Axel. »

                Ma voix était faible et mal assuré et j’aurais peut-être préféré qu’il ne m’entende pas. Mais il s’est arrêté à son tour, et à la façon dont il m’a regardé à ce moment-là, il a su exactement comme moi que j’étais perdue, possédée par une idée qui m’empêcherait définitivement de faire un pas plus.

                « Je leur ferais croire que tu es mort. Ainsi, ils ne te poursuivront pas.

                -Et toi, qu’est-ce que tu vas faire ?

                -Ce que j’ai toujours fait. L’égoïste. Je vais vous oublier. Quand je me réveillerais, tout aura changé. Vous n’avez pas besoin de moi. »

                Et ça m’a fait mal de le dire à voix haute, une douleur bien différente de celle que mon corps en pleine mutation me faisait subir, et pourtant tellement vive que j’aurais tout donné pour la faire disparaître.

                Peut-être que j’aurais changé d’avis si il avait fait mine de me retenir. Je n’aurais d’ailleurs pas été très difficile à convaincre,  je n’étais pas vraiment sure de moi. C’était impulsif. Mais il n’a rien dit. Il n’a rien dit pour me retenir, pour me prouver qu’il m’aimait encore, il n’a pas esquissé un geste pour me sauver des ténèbres effrayantes qui commençaient à m’encercler, qui menaçaient de m’engloutir et contre lesquelles je n’avais plus le cœur de lutter.

                « Très bien. »

Très bien. C’est tous ce qu’il a trouvé à répondre. Très bien, vas-y. De toute façon, qu’est-ce que tu veux que ça me foutes ?

Il s’est détourné. Très profondément, j’ai espéré qu’il fasse volte-face et qu’il me demande de venir – je serais venue, c’est sûr. J’ai espéré qu’il me tende la main et qu’il me sauve comme moi je l’avais sauvé. J’ai espéré qu’il reste quelque part en lui la moindre trace de son amour pour moi. Je suis complètement tombée sous son emprise, en fin de compte.

                Il s’est effectivement retourné, et l’espace d’un instant, j’ai retrouvé Axel, le vrai, celui que j’avais recueilli en bas de mon immeuble, celui qui m’avait fait rire, sourire, celui pour qui j’avais risqué ma vie et celle de mon adorable petit frère que je ne reverrais jamais par sa faute. Il a été sur le point de dire quelque chose, qui aurait sans doute changé notre vie à tous les deux. Mais il n’a rien dit. Ah si, juste trois mots, si bas que je ne suis pas sûre de ne pas les avoir hallucinés. Peut-être que je souhaitais tellement avoir une preuve de son repentir que mon esprit les a lui-même fabriquer. Qu’importe.

                « Je suis désolé. »

Il pouvait l’être. Oh oui, il pouvait être désolé, ce petit bâtard, lui qui me laissait là parce que ça l’arrangeait bien, qui sautait sur la première occasion, sur ma première ébauche d’hésitation pour se débarrasser de moi, comme si il n’attendait que ça. Alors Axel est parti. Et moi, je suis restée là, j’ai regardé sa silhouette s’éloigner indéfiniment de moi et disparaître pour toujours. J’ai choisi. Motivé par une raison ignoble : je ne suis même pas sûr que Tiph’ se réveillera un jour. Je préfère rester. Et me voiler la face.

                Je ne suis rien de plus qu’une parfaite égoïste.

                Je préfère tout oublier, je préfère échapper à mon échec. Je préfère qu’Axel sorte de ma vie et qu’il n’y remette plus jamais les pieds. Je ne lui pardonnerais jamais. Je ne veux pas qu’il nous regarde chaque jour en repensant à ce qu’il s’est passé entre nous et que peu à peu, lentement, je les sente tous les deux s’éloigner de moi, me laissant seule dans l’incompréhension, orpheline. Je préfère les laisser tous les deux et m’épargner sa pitié. 

                « Salut, Ax. »

Il était déjà loin. J’étais déjà seule.

                Ensuite, et bien, ce qui devait arriver arriva. La douleur augmentant subitement, je me suis retrouvée incapable du moindre mouvement quand ils sont venus me chercher. J’étais allongé sur la terre dure et je contemplais le ciel qui apparaissait par intermittence entre le feuillage des arbres de la forêt. Ils ont fait une tête d’ahuri en me trouvant là, immobile sur le sol gelé, à attendre patiemment que l’on vienne me chercher. Je crois même que je leur ai souri. Je suppose que le corps des vampires se désagrège réellement à leur mort – ce sont des cadavres après tout, en état de décomposition depuis des décennies – car ils n’ont pas eu l’air de s’attendre à trouver un Ax mort dans le paysage quand je leur ai dit, avec une expression joviale tout à fait inapproprié, que je l’avais tué. Mais ils ne me croyaient pas, c’était évident, ça semblait très gros, je le reconnais.

                Je riais. Je riais quand ils m’ont trainée vers le manoir, en songeant que j’avais couru toute cette distance pour rien. Je riais en franchissant les portes de l’immense bâtisse, en me disant que bientôt j’appellerais cet endroit ma « maison ». Que penserait ma mère, si elle me voyait ? Et Raphaëlle, qui s’est engagé dans l’armée ? Dylan, qui aura des enfants que je ne rencontrerais jamais ? Et comment réagira Maxence, la sœur chérie de Tiphaine, quand elle apprendra la mort de son jumeau et ma disparition ? Et Lukas, qu’est-ce qu’il pense, lui ? Qu’est-ce qu’il gardera de moi ? Je méditais tout cela, complètement déconnectée du monde, des vampires qui défilaient sous mes yeux, des discussions qu’ils tenaient à mon propos, de leur regard méprisant et parfois légèrement effrayé. Et la fac ? Quand finiront-ils par effacer mon nom de la liste des candidats aux examens ? Et le patron du vidéoclub, combien de temps avant qu’il n’engage une autre jeune pommée en désintégration sociale ? Combien de temps avant que toute trace de mon existence n’ai totalement disparu ? J’ai eu peur, tout d’un coup.

Au lieu de me faire subir un interrogatoire, ils ont fait venir la jeune Sarajevo, celle qui lit dans les pensées, dans cette cellule exiguë. Sa beauté insultait la médiocrité des lieux. Je n’avais pas pensé à cela. J’ai paniqué, un cours instant, en me disant qu’en plus tout cela aurait définitivement été vain si les deux hommes de ma vie se faisaient poursuivre éternellement par les vampires. Mais la jeune femme a été sans appel.

                « Elle a eu une chance pathétique, et il s’est sans doute laissé faire, mais elle l’a tué, c’est certain. »

Je n’ai rien dit bien sûr. Elle m’a regardé droit dans les yeux, déterminée, me défiant seulement de ciller face à son mensonge, mais je n’ai pas bronché. « Pourquoi ? » hurlait-je dans mon esprit. Elle n’a murmuré que deux pauvres petits mots bien évasifs : par amour. Par amour pour qui ? Pour Johann, son frère ? Pour les héroïnes égoïstes ? Pour les fins sordides ? Je ne le saurai jamais. Dans une heure ou deux, tout cela ne sera plus que cendres, et je ne me souviendrai de rien. Ni de la trahison de Lukas, ni de celle, inconsciente mais bien réelle, d’Axel et Tiphaine, ni  de la dépendance de Mandy à mon égard, ni de ceux que j’ai froidement assassinés dans cet immeuble de Prague, ni de celle que j’étais, lâche, égoïste, bornée, ni de la douleur qui déchire mon corps en deux. La solution de facilité, en somme. Je suis pitoyable.

                C’est tellement facile de détester Axel. C’est tellement plus simple que de l’aimer. Il a tué son propre frère merde. Il m’a laissée derrière lui comme si je n’étais rien d’autre qu’une connaissance  exaspérante, comme si je n’avais rien fait pour lui. Quelle ingratitude. C’est un enfoiré. J’ai le droit de le détester, c’est légitime. Même si ça fait mal. Même si il ne s’en rend sans doute même pas compte, parce que je suis rien pour lui et qu’il ne comprendrait pas si je luis disais qu’il me fait souffrir. Le pire, c’est que malgré tout, je me dis que si Tiphaine ne se réveille pas… non seulement je serais la reine des monstres, et en plus de ça, Axel me détestera. Et ça aussi c’est insupportable, au même titre que tout le reste. Je le déteste. Pour ce qu’il a fait de moi, pour m’avoir forcée à l’aimer plus que de raison, je le déteste.

                Mon téléphone portable sonne. Par je ne sais quelle imprudence ils l’ont laissé dans ma poche, peut-être parce qu’il aurait été inutile de me le prendre, de tout façon. Le côté mignon et niais de notre histoire a laissé place à la réalité sanglante des légendes de conte de fée. Les vampires, dont je ferai bientôt partie, rien de romantique ni de très glorieux. Juste une race semblable aux autres : qui tue pour se nourrir, étend son pouvoir, en use et en abuse sur des créatures plus faible. Une réalité bien loin de l’exotisme d’un Twilight, où il fait beau et que tout le monde s’aime. Mais où est l’amour là-dedans, hein ? Où est le bonheur, où est l’exotisme ? Un ramassis de connerie, de mensonges en couleur. Bande de con. Quelles sont réellement leur caractéristiques alors ? Quels aspects de leur existence se rapportent aux mythes, et lesquels à la réalité ? Mon téléphone sonne, comme pour me rappeler le monde que je suis en train de quitter. Il émet les notes stridentes d’une chanson agaçante. Cubicle.

                « Allô ?

                -Stef’, ça va ? Où tu es ?

                -Tais-toi donc Mandy, tu me donnes mal au crâne. »

Mais elle n’est plus disposée à écouter mes ordres. Sans doute a-t-elle perçu, avec sa foutue intuition, qu’elle avait des raisons de s’inquiéter. Quelle ironie qu’elle appelle maintenant.

                « Stef’, où tu es, je veux te voir…

                -Ce n’est pas possible. Je ne suis pas en ville.

                -Pourquoi, pourquoi tu n’es pas là ? »

Elle se met à pleurer, tout doucement. Elle me fait de la peine, cette gourde. Je vais la laisser seul.

                « Lukas m’a dit que tu étais partie. Tu reviens quand dis ? Je veux te voir… »

La petite Mandy pleure comme une enfant. Elle m’insupporte plus encore que d’habitude, mais je ne me sens pas de l’insulter maintenant. Je ne voudrais pas gâcher cette ultime scène cliché. Celle des adieux. C’est drôle, je viens de porter une main à mon visage, et il se trouve que je pleure moi aussi. Ça faisait longtemps.

                « Je suis désolée, Mandy. »

Désolée de te laisser te débrouiller toute seule. Désolée que tu apprennes bientôt ma mort, celle de mon petit frère et le carnage de mon immeuble et que tu ne comprennes pas pourquoi. Je me rends compte en repensant à ce qu’Axel m’a dit que c’est en quelque sorte Mandy la responsable de tout ce qui m’est arrivé. C’est elle qui m’a forcé à sortir Ax de cette ruelle. Je lui dédie une haine brulante pendant quelques secondes, rien que pour le plaisir, avant de me mettre à rire de ma propre hypocrisie. Mandy pleure à l’autre bout de la ligne. Moi aussi je pleure, mais sagement et en silence, de sorte qu’elle ne s’aperçoit de rien.

                « A plus, Mandy.

                -Je t’aime Stef’ tu sais ? Je t’adore. Alors… »

J’hésite à lui dire que tout est de sa faute. J’hésite vraiment, à lui dire à quel point je lui en veux en ce moment précis, à quel point Lukas n’est qu’un sinistre comédien, à quelle point j’en veux au monde entier, j’hésite à lui avouer combien je me déteste, combien j’ai envie de pleurer comme une enfant jusqu’à suffoquer de désespoir, jusqu’à ce que je m’assèche totalement. Mais je ne suis pas si cruelle, ou du moins pas ce soir.

                Moi aussi je t’aime, tu sais. Mais tu ne le sauras jamais. Là, tout de suite, je me raccroche à ce téléphone comme à une bouée de sauvetage. Si je le pouvais, je resterais éternellement pendu au bout du fil, tu sais.

Je me reprends bien vite. C’est finit tout ça. Terminé, over, on remballe, on capitule. Mes larmes se tarissent.

                « Je dois te laisser. »

Je raccroche avec rage, arrache la batterie. Quelle utilité pourrait bien avoir ce truc maintenant ? Je le balance dans un coin et essuie mon visage humide avant de me recroqueviller dans un coin, repliée sur moi-même. Je délire un moment, m’imaginant avec Axel dans la voiture d’Arman, à lui bricoler des excuses bidons quand à mon état déplorable. Je nous vois, Axel, Tiph’ et moi, nous offrir avec joie quelques festins sanglants puis rentré dans notre appartement, heureux d’être ensemble. Lukas qui reste avec moi, Mandy, fidèle et serviable, dans un coin de la scène. Une unique et dernière larme s’échappe de mes yeux trop clairs. Et finalement, je perds connaissance.

 

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27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 00:56

Je rentre du cinéma, je viens d'aller voir Black Swan, et il m'a trop retourné pour que je puisse espérer dormir maintenant... Alors je poste ^^

 

Bonne lecture ! 

 

sad friday by zenibyfajnie-d32qpj7

 

Sad Friday, by Zenibyfajnie (DA)


  Chapitre 13

 

 

La clé de mon succès, ce sont les immenses fenêtres à croisillons qui s’ouvrent sur le parc.

                Axel – Johann – et moi nous dévisageons en silence au milieu d’une foule d’inconnus au regard narquois. Il est à l’autre bout de la pièce mais pourtant j’ai l’impression que nous sommes seuls, et qu’il est juste là, juste à portée de main, de poing. Une femme très jolie est pendu à son bras, « sa casse-couilles de femme », je suppose.

                L’autre clé de ma réussite, ce sont les sentiments d’Axel.

                Je sais qu’il a aimé mon frère, sincèrement et profondément, pour la courte période où ils ont vécu ensemble. Il me semble difficilement concevable que ses sentiments aient pu disparaitre aussi rapidement que sa mémoire lui était rendue ; en tout cas, je ne veux pas que cela soit ainsi. Car ça signifiera l’échec. Alors je cherche dans son regard les traces de notre lien, de notre amour, celui, fraternel, que j’ai nourri à son égard, et celui qu’il a voué à Tiphaine. Tout repose là-dessus.

                « Voilà une nouvelle petite sœur pour mes chéries, susurre la femme rousse, glaciale et sans joie, avec son sourire sadique. Sarajevo ! Va chercher tes frères, je veux qu’ils soient présents. »

Une jeune femme, une photo en noir et blanc de quelques années ma cadette, ou du moins en apparence, aux longs cheveux noirs et lisses et d’une beauté sombre et dérangeante, se détache de la foule et s’éclipse par une porte latérale, non sans m’avoir jeté un regard appuyé, brûlant de curiosité et de sentiments impossibles à interpréter. Ils sont visiblement enthousiasmés par ma naissance, celle d’un des leurs.

                « Comment l’appellerons-nous ? Berlin, ce n’est pas très élégant.

                -C’est à Prague qu’elle a été mordu, c’est là-bas, littéralement, qu’elle est « née ».

                -Je suis née à Prague. »

Ils se tournent d’un même mouvement vers moi, ne s’attendant pas à ce que j’intervienne dans la conversation.

                « Et bien parfait ! Prague sera ton nom, tu t’appelleras ainsi !»

La rousse bat des mains, dans un état d’excitation d’une puérilité totale, mais je ne dis rien. Lukas m’avait également prévenu : « Tu recevras un nouveau nom. –Pourquoi ? –Parce qu’à ton réveil, tu auras tout oublié. »

                Ils se renomment donc en fonction de l’endroit où on les a trouvés ? Johannesburg, Sarajevo… Et pour ceux qui naissent à Francfort ou Pardubice ? C’est à chier, franchement.

                La jeune fille aux cheveux noirs, le visage pâle toujours dénué de toute expression, est de retour dans la salle de réception, accompagnée de deux hommes radicalement dissemblables : une armoire à glace en marcel, au crâne rasé, et une petite frappe tatouée et percée plusieurs fois au visage et sans doute ailleurs. Ils n’ont pas spécialement l’air ravi de se trouver là.

                « Maman, qu’est-ce que c’est que ces nouvelles conneries ? Encore une sœur ? Tu n’as donc pas assez d’enfants comme ça ?

                -La ferme Detroit » réplique vivement la femme rousse.

Celui-là vient des Etats-Unis donc. C’est intéressant comme tradition. Intéressant dans le genre craignos. En tout cas, il est clairement impossible que ces-deux-là soient réellement mère et fils : leur apparence leur donne maximum dix ans d’écart.

                « Ne parle pas à ta mère sur ce ton. Et ce n’est pas elle qui a mordu celle-là. C’est Johann. »

Cette fois, c’est l’autre homme, qui parait même plus vieux que celle qu’ils appellent maman, qui prend la parole, mécontent.

                « Alors elle ne fait pas partie de la famille. C’est l’enfant de Jo, pas le tiens.

                -Je m’en moque ! Je VEUX qu’elle soit votre sœur ! C’est moi qui décide !

                -Maman, sérieusement…

                -CARTHAGE ! TAIS-TOI ! »

« Maman » est folle de rage. D’ailleurs, les autres convives se sont progressivement reculés au fur et à mesure que le ton montait : ils sont à présent agglutinés dans le fond de la salle, faisant mine de continuer distraitement leur conversation, des trouillards quoi. Ce n’est pas ça l’important. Carthage ? Quel âge a-t-il dans ce cas ? Et eux, la « maman » et son mari, depuis quand peuvent-ils bien vivre ? Ça ne me tente pas du tout de vivre des siècles. Je m’étais toujours imaginé que je vivrais une petite vie merdique et solitaire avant de me suicider en avalant une bouteille d’eau de javel. Qu’est-ce que je vais faire de tout ce temps à ne rien faire ?

                Avec tout ça, je commence sérieusement à avoir mal aux bras, contorsionnés dans mon dos, et plus généralement dans tout mon corps. Je dois me dépêcher.

                « Maman, nous règlerons cela plus tard. Notre jeune sœur risque de ne jamais voir le jour si nous continuons nos pérégrinations. »

                Le ton velouté, d’une sensualité prodigieuse, de l’adolescente nommé Sarajevo, apaise instantanément les foudres de sa mère, qui redevient une femme distinguée, laissant de côté son caprice d’enfant gâté.

                « Sarajevo, ma chérie, je me demande pourquoi c’est toi la plus intelligente alors que tu es la plus jeune de mes enfants.

                -Sans doute parce que c’est la seule qui n’ai pas un prénom à coucher dehors… » Marmonne le jeune homme nommé Detroit.

La tension manque d’exploser dans les veines de la magnifique créature rousse au bord de la rupture, mais ce sont mes nerfs qui lâchent avant : je me croirais revenue au temps où j’habitais Berlin avec ma famille, où ma mère piquait des crises de colère incontrôlées et injustifiées, où nous nous plaignions de nos patronymes embarrassants. Tout cela est juste… parfaitement absurde. J’explose de rire.

                Il résonne dans le silence qui s’est de nouveau abattu sur l’assistance bouche bée, un son grave et irrégulier qui me semble curieusement mélodieux dans cette pièce et cette atmosphère glauque. Je n’en peux plus de me tordre en deux, le souffle coupé par un rire nerveux totalement impromptu. Je ne pense pas qu’ils apprécieraient que j’avoue les trouver ridicules, bien qu’ils ne demandent qu’à connaitre la raison de mon hilarité

                « Je ne veux pas de cette cinglée comme sœur.

                -Tu feras ce qu’on te dira de faire, Detroit » rétorque son « père », cinglant.

En moins d’une seconde, les piercings du jeune homme scintillent juste sous mes yeux. Il me jauge avec réprobation.

                « Je me demande ce que Johann a bien pu lui trouver. »

Je cesse de rire immédiatement, ce qui semblait être l’effet recherché, vu son sourire satisfait. Johan-Axel ne m’a rien trouvé du tout. Celle qui l’a « trouvé », c’est moi. Je suis encore suffisamment libre de mes mouvements pour pouvoir lui asséner un coup de pied, coup qui, sans grand effet et parfaitement idiot, attise néanmoins sa colère.

                « Espèce de… »

Son poing est retenu sans que je ne comprenne ce qu’il se passe par Axel, arrivé là comme par magie. Il ne me regarde toujours pas.

                « Laisse donc. Ce n’est qu’un réservoir de nourriture. Si ça se trouve, elle ne survivra même pas. »

Il me jauge brièvement, avec une indifférence parfaitement maîtrisée. Ses yeux ne disent rien, ils ne me parlent pas, et je pourrais presque avoir peur de cet étranger qui ressemble à s’y méprendre à une personne que j’aime énormément et qui devise sans remords de ma mort prochaine. Il se rapproche de moi. Proche. Trop proche. J’écrase durement mon front contre son nez, le seul geste que je peux encore faire avec les chaînes qui entravent mes poignets. Exactement les mêmes que lors de ma première rencontre avec Axel, ces chaines, le même métal froid et brillant, la même douceur cruelle sur mes articulations meurtries. Ou du moins, c’est l’impression que j’ai, l’impression qu’elles me donnent, comme miroir de mes propres erreurs. La peau fragilisée de mes poignets, à cause des dents d’Axel qui aimait tellement cet endroit, finit par céder. Le sang commence à s’écouler très lentement sur mes doigts et je sens l’atmosphère se modifier sensiblement. Tout à coup, ils ont l’air de me trouver beaucoup plus digne d’intérêt, tous. Ah, je les déteste. Tous. 

                « Espèce de petit bâtard, à qui crois-tu parler ? »

J’ai l’impression cette fois-ci de me retrouver le jour où il m’a mordu pour la première fois. La haine me prend à la gorge, mon front m’élance douloureusement, ils font tous une tête d’ahuri.

                « Je suis celle qui t’a bordé pendant cinq mois parce que tu faisais des cauchemars chaque nuit, qui t’a nourri, et qui t’a offert l’asile. Et je suis la grande sœur de celui avec qui tu as expérimenté tes amourettes baveuses d’adolescent. Je t’ai sorti de cette putain de ruelle, Ax. Alors je t’emmerde ! »

                Je finis par cracher à ses pieds, totalement inconsciente de l’endroit où je me trouve et en quelle compagnie. Comme on s’en doute, l’autre frère, Detroit, me décoche une gifle phénoménale qui manque de m’arracher la tête, mais personne ne dit un mot, jusqu’à ce que l’homme aux cheveux gris reprenne la parole :

                « Alors, jeune fille, dites-nous, qui avez-vous bien pu saigner pour être aussi hargneuse ? »

                Je me raidis. Nous voilà arrivés à un sujet délicat. Je me demande comment réagira Axel, s’il réagira seulement. Peut-être me suis-je trompée après tout, peut-être que cela ne lui fera rien. Peut-être qu’il haussera les épaules avec ce même mépris cynique qui pourrait concurrencer le mien et que je vois afficher sur ses traits en ce moment. Non, non, ça ne peut pas, ça ne DOIT PAS se passer ainsi. Parce que s’il ne part pas… J’ai un doute, tout à coup. Cette femme qui le couve de regard, est-ce qu’elle compte plus que mon jeune frère ? Est-ce que j’arriverai à le rendre heureux, au moins une fois ?

                « J’ai décimé les habitants de mon immeuble. Un vrai carnage. »

J’écarquille les yeux de surprise. Je n’ai pas dit un mot. La jeune Sara me fixe de ses yeux vides tout en formulant les pensées qui ont tout juste le temps de se former dans mon esprit.

                « Je les ai tous tués. Tous, l’un après les autres. La pouffe, l’employé de bureau, les junkies, le rasta-man, le communiste, le connard, tous, et j’ai mis du sang partout. Ça a duré toute la nuit. »

                Les images et les sons m’assaillent avec une rare violence. Je revois cette scène qui me poursuit depuis la veille, quand j’ai finalement cédé à la soif qui me dévorait. Un décor digne des meilleurs films gores : la peinture rouge qui éclabousse les murs, les corps froids et livides, rendus rigides par la peur et la mort, le silence qui a suivi, avant que je ne m’enfuie à Berlin pour tenter de réparer ce désastre.

                « Mais ça ne suffisait pas, ça ne suffisait toujours pas. Alors je suis retournée dans notre appartement. »

Que puis-je faire pour qu’elle se taise ? Je me débats en vain des poignes de fer de mes gardiens, rendue folle par sa voix sans timbre qui évoque mon crime, mes horreurs. Les larmes se mettent à déborder de mes yeux, la frustration de l’impuissance m’enserre la gorge, mais je ne peux rien faire pour que sa voix s’arrête.

                « J’ai même tué mon propre frère. »

Alors le temps s’arrête. Je lui hurle de se taire, de toutes mes forces, je hurle à m’en briser les cordes vocales juste avant qu’en un éclair, Ax se soit jeté sur moi. Quand l’assistance retrouve ses esprits, nous avons roulé à l’autre bout de la pièce, et il me fait mal. Il me fait vraiment mal. Le sang coule de mes lèvres et de je ne sais trop où sur mon visage. Je tire comme une forcenée sur mes menottes, me coupe la peau, me déboite un poignet pour retrouver ma liberté de mouvement. La douleur est secondaire.

                La fenêtre.

                Mon espoir est là, juste derrière, juste en bas.

                Je me mets à courir. Courir pour sauver ma vie, pour que mon espoir survive. Courir et traverser cette pièce qui n’est pourtant pas si longue. Cette fenêtre me semble pourtant tellement loin, impossible à atteindre. Si je passe, si j’évite tous ces connards et qu’Axel ne me rattrape pas, si j’arrive à passer cette fenêtre, j’aurais gagné.

                Les quatre secondes les plus longues de mon existence.

                Éviter les bras, les mains qui se tendent, toute cette masse en mouvement qui converge sur ma route pour me bloquer le chemin.

                Je n’ai jamais autant ressenti mon propre corps, les muscles qui se tendent, les poumons brûlant, le sang qui bat à mes tempes tandis que je m’élance, plus rapidement bien sûr que je ne l’ai jamais fait, que je n’aurais pu le faire il y a quelques jours. Et cela au prix de quelques vies humaines qui ne m’importaient pas vraiment mais que je n’avais pas  pour autant le droit de supprimer. Et Tiphaine…

                L’impact me martyrise, quand je traverse finalement les croix de bois d’une des hautes fenêtres, et que le verre se brise en mille morceaux autour de moi. Je ne suis peut-être pas encore des leurs, mais la force et la résistance que j’ai acquise suffiront à m’épargner de la mort pour cette fois. À condition que je cours suffisamment vite pour avoir le temps de parler à Axel. Et que les dizaines d’autres vampires ne se décident pas à se lancer, eux aussi, à ma poursuite.

                J’ai vraiment trop parié sur la chance. James Bond peut faire ça. Harry Potter, Aragorn, les Totally Spies, eux ils peuvent le faire. Même cette gourdasse de Bella peut aussi, j’en suis sûr. Mais pas moi. Moi, je suis une héroïne ratée.

Le sol, plus dur que ce à quoi je m’étais attendu, me réceptionne méchamment. Ça n’a pas d’importance. Je me remets à courir. Dans les films, courir, c’est vivre.

                Une trentaine de mètre plus loin, je trébuche (évidemment) comme l’héroïne pitoyable que je suis, et m’étale face contre terre, scène qui aurait fait rire n’importe qui. N’importe qui sauf un garçon qui voit se rétamer celle qui a tué son amant. Je l’évite de justesse quand il se jette sur moi. Nous nous sommes un peu éloignés du manoir. Il ne manquerait plus qu’il pleuve pour rajouter au côté dramatique – et cliché – de la situation mais pas de chance, le ciel bien qu’encombré de nuages qui masquent les étoiles et la lune ne semble pas décidé à pleurer pour nous. Avant qu’il ne m’attaque à nouveau, je tente de parlementer.

                « Il n’est pas mort espèce de crétin ! »

Peu conventionnelle, mais efficace, au moins pour l’arrêter dans son délire vengeur. J’avoue que cela va au-delà de mes espérances. Il est en rage. C’est tant mieux.

                « Il n’est pas mort, mais je me demande bien ce que ça peut te faire. »

À la réaction impulsive succède le raisonnement, calme et posé, et ses traits se durcissent quand il comprend qu’il s’est trahi. Ça me fait  bizarre de le voir habillé de manière aussi formelle, les cheveux disciplinés, avec une mine si sérieuse. Un inconnu. Parler me fait mal à cause de ma lèvre fendue. Je grimace, j’ai encore plus mal, et donc grimace encore plus. Putain. Je lève les yeux au ciel.

                « Qu’est-ce que tu es venue faire ici Stefane ? Qu’est-ce qui a bien pu te passer par la tête ?

                -Je suis venu te chercher.

                -Mais pourquoi ? 

                -C’était mon intention depuis le début. Pour Tiph’. Mais… Je n’ai pas su me contrôler. Je l’ai vraiment tué tu sais. »

                Il grogne, je peux presque sentir la colère pulser dans ses veines.

                « Alors j’ai fait la première chose qui me passait par la tête. Je me suis ouvert les veines, et je lui ai fait boire. Presque tout ce que j’avais – pour quelqu’un à moitié humaine, le fait que ça ait marché était totalement inespéré, même si je comptais sur les fois où tu l’a toi-même mordu contre mon accord.

                -C’était même quasiment impossible.

                -N’oublie pas le scénario de film bidon. Je devais forcément y arriver. Je l’ai confié à Lukas, il devrait se réveiller bientôt. »

L’ironie du sort a voulu que Lukas, le seul dont le meurtre ne m’aurait pas dérangée, ne soit pas là la nuit dernière et qu’il échappe à mon délire. Ou peut-être l’avait-il prévu, peut-être a-t-il agit en conséquence, peut-être qu’il s’est juste trouvé ailleurs précisément à ce moment-là pour sauver sa vie et revenir plus tard. J’ai même tué ses parents. Mais peut-être qu’ils ne l’étaient pas vraiment, au fond. Laissons tomber tous ces « peut-être » et tous ces « et si » qui esquissent un futur que je ne connaitrais jamais. Je m’en fous. Cela n’a plus d’importance maintenant. Le temps presse. Le temps le temps le temps. On en a plus, du temps.

                « Ax, il faut que tu viennes avec moi.

                -Je ne m’appelle pas Ax.

                -Il faut que tu viennes.

                -Pourquoi ?

                -Tu es le cadeau que je compte offrir à Tiphaine quand il se réveillera. 

                -Mais encore ?

                -Tu es amoureux de lui. Peu m’importe qui tu es réalité, le monstre qui peut bien se cacher sous tes mèches bouclées. Je ne veux pas qu’il vive sans toi. Je ne suis rien pour toi, je sais. Mais lui, ce n’est pas pareil.

                -Pourquoi en es-tu aussi sûr ?

                -Regarde ta réaction à l’annonce de sa mort, sérieux. »

Cela au moins est un argument auquel il ne peut rien opposer. Force est de constater qu’effectivement, je ne représente strictement rien à ses yeux. Rien. C’est assez douloureux, mais pas insurmontable ; de toute façon, je l’avais déjà compris. Finalement je ne sers à rien, dans cette histoire stupide. Maintenant que j’y pense, j’ai laissé mon collier – le cadeau du vampire – à l’appartement. Tant mieux.

                « Je veux le revoir, c’est vrai. Je ne sais même pas pourquoi. Mais je veux le revoir. »

Il semble frappé lui-même par son propre constat. Perdu comme les premiers jours. Tu es là, Axel ? Tu existes encore ?

« Et ta femme ? Tu es marié, non ? »

Il hésite, réfléchit.

« Elle ne compte pas. Pas autant. »

J’ai gagné.            

                « Alors nous n’avons pas de temps à perdre. » J’ai gagné. Nous allons repartir ensemble, retrouver mon frère, il va se réveiller, et nous serons ensemble. Je m’apprête à me détourner mais me ravise. J’ai une dernière question.

« Au fait Ax, maintenant qu’on y est…

 

                -Pourquoi est-ce que tu t’es retrouvé en bas de mon immeuble, dis ? Qu’est-ce que tu avais fait ? »

Il se tait. Il semble curieusement mal à l’aise que je pose cette question somme toute parfaitement légitime. J’ai besoin de savoir, quel genre de personne j’ai sauvé ce soir-là, moi qui était si peu encline à aider les autres, même les gens bien. Il fixe un point infini dans mon dos quand il répond d’une voix blanche :

                « J’ai tué le plus jeune de mes frères. Assez cruellement à vrai dire. »

Je fais l’impasse sur sa dernière phrase, effaré. Un grand blanc, non, plutôt un noir immense se fait dans mon esprit. Un fratricide. C’est ça qui a déposé Axel sur mon pallier et dans ma vie. C’est de ça qu’est tombé amoureux mon petit frère. C’est pour ça que je me suis sacrifiée.

                « Je ne pouvais juste… pas le supporter. »

Pour une raison aussi triviale. J’ai sauvé quelqu’un qui était capable d’assassiner un membre de sa propre fratrie. Le point de départ de toute cette histoire, c’est...

« Normalement, j’aurais dû en baver beaucoup plus que cela. Devoir trainer comme un clochard dans les rues de Prague pendant quelques mois, ou même en mourir. Mais… tu m’as trouvé. Ça n’a pas vraiment plu à tout le monde que j’échappe ainsi à ma punition. »

                Tout ça pour cela.

                Je l’ai sauvé d’un sort amplement mérité.

                Voilà la raison, voilà le pourquoi. Voilà ce qui fait que je doive souffrir autant, que j’en ai été réduite à saigner mon propre petit frère, que je sois devenue plus sociable, que j’ai laissé Lukas piétiner ma carapace de glace.

                Je ne peux pas m’empêcher d’éclater d’un rire hystérique sous son regard empli de pitié qui me brise le cœur. Tout cela est horriblement drôle.

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22 février 2011 2 22 /02 /février /2011 14:17

Hey les gens !

 

Voilà en exclut la p’tite bande tel que je l’ai ai imaginé et tel que mon coup de crayon peu sûr de lui les a représenté. La qualité est moindre, et j’ai essayé comme j’ai pu d’effacer le dessin qu’on voyait en transparence au dos avec la gomme de Paint, c’est pour ça les taches blanches un peu partout… Ah, et me demandez pas pourquoi Tiphaine n'a qu'un seul bras, moi-même j'ai pas compris. Désolé de cassez l'idéalisation que vous vous étiez faite, mais bon, ils sont comme ça hein, j'y peut rien moi.

 

Euh, pour ce qui est des commentaires bah… n’hésitez pas hein.

Chapitre pas très gai (toute façon c’est fini tout ça, la légèreté on laisse tomber j’ai dit)

 

Bonne lecture !

 

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Chapitre 12

 

Tous les enfants de ma mère sont nés à Prague. Mon grand frère y a même passé une bonne partie de son enfance. Pour ma part, avant ma fugue, je l’ai assez peu connu. Nous avons quitté la République Tchèque un an après ma naissance, et nous n’y sommes retournés que pour que les jumeaux y voient le jour – ma mère y tenait. C’est donc assez naturellement que je me suis tournée vers cette ville lors de ma fuite, d’autant qu’elle me charmait comme nulle autre. Nous habitions Berlin, avant cela. C’est dans la capitale allemande que j’ai grandi pendant quinze ans, c’est là-bas que se trouvent tous les souvenirs de notre vie d’avant, quand le mot « famille » avait encore un sens. Et c’est là-bas, comme par hasard, que je dois aller si je veux revoir mon ancien colocataire.

                Ça y est, on a finalement viré dans le dramatique. J’aurais dit pathétique moi, mais bon, je ne suis pas objective aussi. Cette histoire va probablement finir assez mal, surtout pour moi, dont le corps recommence à réclamer une nourriture que je répugne à lui donner. Je n’ai jamais pu faire boire de sang animal à Axel. Nous avons bien essayé, une fois, avec un chat de gouttière. Il a failli vomir sur mes chaussures, nous en avons donc conclut que le sang animal était largement proscrit. Vais-je devoir tuer pour survivre ? Encore ? J’ai déjà du mal à supporter mon reflet dans la vitre doublé du train. Je suis un monstre.

                Le train ralentit. Je joue des coudes pour me frayer un chemin vers l’extérieur, entreprise grandement facilité par le fait que je n’ai pas le moindre bagage – même pas un sac à main mais en même temps, est-ce qu’on m’a déjà vu avec un sac à main ? Je suis devenue plus humaine à cause de ce con de vamp’, pas plus féminine. Y’a des limites quand même.

                Berlin.

                À peine sortie de la gare centrale, je suis assaillie d’un flot d’émotion intarissable, conséquences des réminiscences incontrôlées qui m’envahissent à la vue de tous ces lieux qui portent une formidable signification. Je ne peux résister à l’envie de parcourir à pieds ces rues qui me sont tantôt familières, tantôt inconnues, mais qui ne peuvent résolument pas me laisser indifférente. J’écoute avec un plaisir diffus cette autre langue que je parle parfaitement mais que je n’ai pas pratiquée depuis des années. Je m’interdis toutefois d’approcher le quartier résidentiel où nous habitions. Inutile de raviver de trop désagréables souvenirs.

                Après un pèlerinage de quelques heures qui m’a fait passer par l’école, le collège, le centre commercial, le parc, et tous ces lieux où j’avais à une époque l’habitude d’aller, je me décide finalement à me mettre en quête de ce que je suis venue chercher : « un manoir dans une forêt », lieu de résidence de la famille, du clan d’après ce que j’ai compris, d’Axel.

                Je me rends compte de tout ce que j’ai perdu, au fur et à mesure des années, et ce que je risque de perdre très bientôt. Cette vie seul puis à deux et à trois, cet appartement que j’ai même réussit à aimer quelques temps, mon boulot, mes cours, cette routine qui ne me rendait ni heureuse ni malheureuse, comme si j’en avais seulement été la spectatrice. Tout cela a disparu. Tss, voilà que je philosophe, maintenant. Comme si c’était le moment…

                Ayant déjà dépensé une somme non négligeable dans mes billets de train, je préfère éviter de prendre le taxi, ou même le car, pour me rendre dans la ceinture extérieure de la banlieue berlinoise, dans ce minuscule bois, qui n’a pas de nom à ma connaissance, où je suis sensée trouver l’objet de mes recherches. Puisque je suis dans la ville de mon enfance, autant en profiter. Les anciens amis n’en reviendront pas quand ils me verront devant leur porte.

 

O

 

                « Tu es sure que tu veux aller là-bas ?

                -Ouais. C’est pour ça que je suis venue.

                -On raconte vraiment des trucs bizarres sur cet endroit tu sais, et sur ceux qui y habitent.

                -Merci Arman. Je vais me débrouiller. »

C’est assez extraordinaire qu’après cinq ans d’absence, j’ai pu trouver avec autant de facilité mon meilleur ami de collège et le convaincre tout aussi facilement de m’emmener hors de la ville aussi tard dans la soirée. Je ne m’étais pas doutée que lui et sa sœur seraient aussi contents de me voir. Ils vivent toujours chez leur père, et Arman poursuit ses études de droit dans le centre-ville. Je ne pensais pas non plus que ça me remuerait autant de le retrouver. Il était un de mes seuls amis au collège, et sans doute le seul qui m’a manqué quand je suis partie. Il arrête le moteur de sa Volkswagen et me regarde, insistant. A une époque il me faisait même rougir, avec ses yeux chocolats et son attitude toujours protectrice même quand je nous mettais dans la merde et qu’il se faisait entrainer dans les bagarres de quartiers avec moi.

                « Je t’attends.

                -Ce n’est pas la peine enfin, rentre chez toi.

                -Tu rêves. Je ne veux pas te voir re-disparaitre comme la dernière fois, pas avant que tu ne m’as raconté en détails ces cinq années d’exil. Je reste. »

                Je ne me sens pas le courage d’insister, même si je pense qu’il est inutile de m’attendre. Et aussi, j’ai un peu peur de ce qui pourrait lui arriver si d’aventure il décidait de venir me chercher. Mais comment le lui expliquer ? J’ai du mal à me l’avouer, mais son sort m’importe moins qu’il ne le devrait. Après tout, c’est un humain… Et merde.

 Devant  moi se déroule un large chemin de terre battue, bordé d’arbres touffus, menant  jusqu’à la demeure que j’aperçois à une bonne centaine de mètres, derrière un haut portail ouvragé. Il fait froid, le vent me fouette le visage, s’infiltre dans mon manteau ouvert. Je préfère cela. Je préfère le sentir, pour éviter de sombrer, de perdre tout à fait conscience.

                « Alors à toute à l’heure… » lui dis-je sans conviction.

                Je ne le reverrais jamais.

 

O

 

                Le manoir est exactement tel que l’idée que je m’en faisais. En fait, il est à peu de chose près comme toutes les idées de manoir que l’on peut se faire si on nous dit que des vampires y habitent. Une bâtisse ancienne, majestueuse, trois rangées de hautes fenêtres pour le corps principal, une imposante porte en bois, de larges balcons ouvragés sur les ailes de chaque côté… Le manoir des vampires quoi. Pas vraiment glauque ni sinistre, mais pas non plus rassurant. Froid est le mot qui lui convient, je suppose.

                Le portail, lui aussi, est immense. Le genre impossible à escalader, et de toute façon, ça ne me viendrait même pas à l’esprit. Le plus sûr pour moi est malheureusement de m’annoncer. Je serais bientôt une des leurs. Peut-être me laisseront-ils entrer. Le ciel est si sombre, d’un noir d’encre, sans la moindre étoile, à peine éclairci par les lumières de la ville, trop éloignée. J’ai peur. Ce constat seul me surprend. Moi qui me croyais imperméable à tout ce qui pouvait m’arriver, moi qui pensait pouvoir tout supporter… de l’orgueil, et rien d’autre.

                Le portail qui pivote de lui-même sans que j’aie encore décidé de la conduite à tenir, c’est au-delà de mes espérances. J’hésite un peu à franchir le passage qui s’est ouvert devant moi. J’ai peur de ne plus jamais en revenir. J’ai de plus en plus de difficulté à me mouvoir. C’est normal, selon Lukas – je le retiens celui-là.

« Les vampires mis au monde alors qu’ils sont encore vivant sont plus puissant et plus stable que ceux qu’ils transforment en une seule fois quand ils sont morts ou sur le point de mourir, parce que le poison a le temps de s’imprégner plutôt que de ravager en une seule fois le corps du nouveau-né. Bien sûr, les vampires de ce type sont rares, parce qu’ils trouvent rarement un humain disposé à se soumettre à ce processus, qui de plus est très douloureux par rapport à la méthode « traditionnelle ». En plus, on ne survit pas forcément. Tes dernières heures en tant que mortelle seront sans doute pire que la mort ». Ça m’a profondément blessée, quelque part dans mon être, qu’il expose cet état de fait avec aussi peu d’émotion. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander :

                « Ça ne te fait ni chaud ni froid que je meurs au final, n’est-ce pas ? »

Il m’a regardé avec un étrange mélange de tristesse et de colère que je n’ai pas pu déchiffrer, mais il n’a rien répondu. Et puis je suis rentrée et là… Bref. Je ne l’ai plus revu.

                Quand je repense à ce qui s’est passé alors, à ce que j’ai fait… Je suppose que quand ma transformation sera achevée – ce qui ne devrait plus tarder, maintenant – ces remords et ce dégout pour le meurtre d’êtres humains ne me semblera plus aussi important, et la nature de ma condition ne me paraitra plus aussi barbare et ignoble. En attendant, je dois me retenir pour ne pas rendre tripes et boyaux en me remémorant mon carnage.

                « Tu ne seras véritablement un des leurs que lorsque tu auras bu du sang humain pour la première fois. Tu auras environ 24 heures à vivre en tant que mortel à partir de là, m’a dit Lukas sur le pas de sa porte.

                -Donc si je ne bois pas de sang, je resterais telle que je suis ? »

Je ne pourrais pas décrire la tête qu’il a faite à cet instant. Il semblait sincèrement désolé pour moi.

                « Théoriquement, sans doute.

                -Mais ?

                -Mais tu ne résisteras jamais à ta soif. Ça finira fatalement par arriver, que tu le veuilles ou non. »

                Il a cru utile d’ajouter un « Je suis désolé », et peut-être était-il sincère. Je lui ai demandé s’il m’aimait, ou s’il m’avait aimé, ou si notre brève relation était purement intéressée. Encore une fois il n’a rien dit. Je ne le saurai jamais. Est-ce que je l’ai aimé, moi ? Je n’en sais rien non plus. Sans doute un peu. Sans doute que j’aurais pu l’aimer aussi sincèrement et profondément que faire se peut. Si j’avais eu du temps. Toujours est-il que je n’en ai plus beaucoup maintenant, du temps. Il est certain que je ne passerai pas la nuit. J’espère juste avoir en avoir assez pour faire ce que j’ai à faire avant.

                Les portes s’ouvrent, comme la grille de l’entrée, sans qu’une âme vivante ne se montre. Je pénètre Je débarque dans la pénombre d’un vaste hall d’entrée carrelé en damier noir et blanc, très chic, un peu désuet, et désespérément désert… pour quelques secondes encore. Et puis, brusquement, tout s’éclaire, deux ou trois hommes se jettent sur moi et m’immobilisent. En un clin d’œil, mes mains sont menottées dans mon dos, un canon de ce que je devine être un pistolet de bonne taille appuie contre ma nuque, et un homme très grand s’avance vers moi, habillé élégamment, l’air assuré de celui qui maîtrise la situation. Il la maîtrise effectivement parfaitement. Il me dévisage avec intérêt comme on jauge une marchandise attrayante de ses petits yeux étroits où brille une lueur malsaine qui me fait frissonner. Il fait aussi froid à l’intérieur que dehors.

                « Une nouvelle venue dans nos rangs à ce que je vois. »

Sa voix m’insupporte. Elle vrille mes tympans et résonne dans mon crâne déjà malmené par une migraine épouvantable depuis plusieurs heures.

                « Je ne suis pas venue demander l’asile. Je veux voir quelqu’un. »

Il semble modérément surpris, en partie parce que son visage ne reflète que modérément ses émotions et ses pensées.

                « Tiens donc. Et qui ?

                -Celui que vous nommez Johann. Je dois lui parler. »

Il me regarde encore, perplexe, avant d’avoir une illumination subite.

                « Ah ! Je sais. Tu es la cinglée qui a l’a récupéré au début de sa punition ! Tu es déjà ici, c’est très bien. Ils attendaient ta venue. »

                Cela par contre me stupéfait. Pourquoi avait-on parié sur ma venue, comme si j’allais tout naturellement me destiner à cet endroit, à cette vie ? Et puis… la cinglée ? Connard va.

                « Eh bien allons-y ! Tout le monde est réuni à l’étage. Tu arrives à point nommé. »

Je ne sais pas si c’est spécialement une bonne nouvelle.

                Le rez-de-chaussée semble inutilisé, au moins pour l’aile principale. Nous montons toujours dans l’obscurité un escalier menant aux étages supérieurs. D’après ce que j’entends, ils doivent être quatre à nous suivre – à me surveiller. Devant nous, l’homme qui est le seul à avoir ouvert la bouche converse avec enthousiasme avec un autre, plus petit et plus âgé, d’après ce que je peux en juger, tout en me jetant des coups d’œil fréquent. Je capte parfois certains mots, sans parvenir à en saisir le sens. Mon corps me fait souffrir. La douleur augmente graduellement, en même temps que je sens ma force et mes sens se développer – la supériorité physique des vampires ne semble pas être une légende. Je me demande s’ils s’évanouissent en poussière quand on les plante avec un piquet de clôture. Ça m’arrangerait bien, pour la suite de mon plan, si tant est que je parvienne à faire ce que j’ai prévu. Je le dois bien à Tiphaine, après ce que je lui ai fait.

                Nous entrons dans une pièce fortement éclairée et remplie de gens, en contraste avec le couloir, vide et noir. Une vaste  salle, de réception je suppose, vu le buffet, l’orchestre discret dans la fond, et la foule d’inconnus en tenues de soirée qui y devisent joyeusement. Les conversations cessent et tous les regards se tournent vers moi, tandis que l’homme qui m’a guidé va glisser quelques mots à un couple de quadragénaire dans un coin de la pièce. Ils me coulent un regard intéressé. L’homme aborde une coupe grisonnante quoiqu’entretenu, le costume qui semble être de mise, et un sourire sans chaleur, tenant par le bras sa compagne, dont les cheveux flamboyants ondulent dans son dos comme une cascade de flammes. Ses yeux acérés me fixent, amusés. Je me sens terriblement mal.          

                Ils ne sont pas tous beaux à s’en damner, mais ils ont tous une certaine forme de charme à leur façon. On pourrait raisonnablement affirmer qu’il y en a pour tous les goûts. Pas seulement physiquement, mais dans l’ensemble, dans ce qu’ils dégagent chacun à leur manière. Fascinant en somme. Je reconnais furtivement « l’homme au manteau noir et aux cheveux dans la gueule », les yeux brulants de haine.

                Et puis je l’aperçois. Magnifique et tellement identifiable dans cette pièce glaciale et maintenant silencieuse. Plus beau et plus fermé que dans mon souvenir qui ne date pas de si longtemps pourtant. Il n’affiche pas la moindre réaction en m’apercevant – m’a-t-il seulement reconnue ? Sans doute, mais après tout, je n’ai pas de valeur à ses yeux. Je ne suis rien, rien de plus qu’une cruche suffisamment stupide pour l’avoir laisser me détruire. Mais quelle idiote, franchement. Pour moi ce qu’il a fait est la plus abjecte des trahisons, mais pour lui ce n’est sans doute qu’une peccadille, un incident qu’il a rangé avec tant d’autre dans le tiroir des évènements insignifiants.

                « Johannesburg, regarde qui voilà. »

L’homme aux cheveux gris a une voix encore plus grinçante que son sous-fifre. Je grimace, pas seulement de douleur, de peur et de frustration, mais également de moquerie et non, je ne peux pas m’en empêcher, même dans cette situation qui franchement ne s’y prête pas mais alors pas du tout.

                Johannesburg, est-ce un nom, franchement ?

 

 

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22 février 2011 2 22 /02 /février /2011 14:04

Et voilà, on enter finalement (enfin) dans les chapitres pas drôles du tout (ce qui veut aussi dire qu'on se rapproche de la fin, hélas). Voilà le onzième, où débarque le sang, les larmes, les trucs glauques. Génial !

 

Bonne lecture alors

 

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The Last Stand, ATAPLATA (DA)

 

 

Chapitre 11

 

                Bordel de merde.

                Je plaisantais, quand je disais que notre histoire n’était pas assez tragique à mon goût.

                Je le pensais pas, putain, je ne voulais pas que ça arrive…

                « Tiph’, sort de là, je t’en prie. »

Pas de réponse. Ça fait un moment qu’il ne dit plus rien. Des heures. Je n’ai pas rouvert les volets alors que j’aurais très bien pu, la lumière vacille, elle va bientôt s’éteindre, cette ampoule a tellement servi ces dernières semaines. Sa défaillance tombe à point nommé, comme un fait exprès.

                « Mais merde, pourquoi tu fais ça hein ? Pourquoi pour lui ? Tu le connais depuis à peine deux mois ! Je suis ta sœur putain ! Je ne compte pas ? »

                Je parle littéralement à une porte. La porte blanc crasseux de ma salle de bain. Seul le silence me répond.

                « Tiph’, s’il te plait…

                -Qu’est-ce qu’on a bien pu faire de mal ? »

La porte pivote doucement, manquant de me faire tomber à la renverse. Tiphaine a le visage barbouillé de larmes, les yeux gonflés, les joues rougies.

                « Est-ce que c’est… de ma faute ? »

Je le serre contre moi, pour le laisser pleurer. Je n’ai pas versé une larme, moi. Ce n’est pas l’envie qui manque. Mais je n’y arrive pas.

                « Dis pas n’importe quoi. On le savait depuis le début que ça finirait par arriver.

                -Moi je ne savais pas. »

Je ne réponds rien, ne trouvant rien à répondre, je le serre juste un peu plus fort tandis qu’il referme ses bras autour de ma taille.

                « On ne m’avait rien dit… »

Ses sanglots résonnent dans le silence.

               

                Le jour de l’an est arrivé plus vite que je ne l’aurais cru ; on avait décidé de rester tous les trois – à ma demande plutôt impérative – et de trinquer avec un petit verre de Becherovkaen en regardant l’émission minable qui marque le changement d’année.

                On s’est levé un peu avant minuit, pour se faire la bise, se faire l’accolade, peut-être se câliner un peu, l’air de rien. J’ai su d’un seul maigre coup d’œil que quelque chose n’allait pas du tout, quand j’ai croisé le regard soudainement et curieusement vide d’Axel. J’ai réagis avec une vitesse qui me surprend moi-même : j’ai attrapé Tiphaine par le bras, et je l’ai jeté sans ménagement dans la salle de bain, où je l’ai enfermé avec empressement. Il n’a pas cru un instant à une blague. Il s’est aussitôt mis à tambouriner conter la porte, hurlant, suppliant pour que je le laisse sortir, terrifié par ce qui pouvait bien se passer de l’autre côté de cette horrible porte. Et moi, je faisais face, incrédule, à Axel, ou aurait-on pu le croire. Parce que l’adolescent, droit comme un I et impassible, telle une statue de marbre, qui me faisait face dans cette pièce limitée, n’était pas Axel. C’était simplement… quelqu’un d’autre. Il avait le même visage, les même boucles devant les yeux, il portait toujours mes fringues trop grandes pour lui, et pourtant…

                « Ax ? »

Je n’ai pas pu m’empêcher de demander. Pour briser le silence entre nous, qui m’étreignait douloureusement le cœur et qui rendait les cris de mon petit frère plus présents, plus urgents aussi, alors que le présentateur grisonnant dispensait toujours ses répliques stupides en bruit de fond. Je serrais si fort dans ma paume la clé de la salle de bain que j’en ai gardé la trace pendant plusieurs heures.

                « Je vous remercie pour votre accueil. Nous vous dédommagerons largement pour le service que vous m’avez rendu. Adieu. »

                C’était un cauchemar. Vraiment. Axel qui se détournait, aussi simplement que si j’avais été un banc de pierre, ou un chien égaré, pour se diriger d’un pas mesuré, atrocement régulier, vers la porte de mon appartement. Le panneau de bois au-delà duquel Axel, le garçon que j’avais recueilli ici, aurait disparu. Où  il cesserait tout simplement d’exister.

                « Attends ! Tu vas pas partir comme ça putain ! Tu me dois un minimum d’éclaircissements, non ? »

Il n’a même pas daigné se retourner, tout juste à tourner légèrement sa tête dans ma direction. Son dos frêle me paraissait soudainement effrayant.

                « Pourquoi ? »

Pourquoi. La question à laquelle je n’avais pas de réponse. J’ai revu très brièvement mais avec une netteté surprenante – et effrayante – le jour où mon père a empoigné son sac de voyage bleu, celui qu’il prenait pour mettre nos vêtements lorsque l’on partait en vacances, et qu’il a juste franchi notre porte, n’estimant pas nous devoir un mot d’explication, d’excuse, d’adieu. J’ai cette image imprimée dans mon esprit, sa silhouette imprécise se découpant en contrejour dans l’encadrement de la porte d’entrée. J’avais l’impression de revivre la même scène, à ceci près qu’il faisait nuit, bien entendu. Je me trouvais confrontée au regard sans âme du vampire qui avait habité près de moi, confrontée à ma hantise de devoir y lire son indifférence, son ennui, son mépris. La peur et l’effroi ont naturellement cédé la place à la colère, tellement plus efficace, plus facile à gérer et surtout terriblement moins douloureuse.

                « Tu ne pars pas. Pas comme ça. »

Il a repris sa marche. J’ai essayé de le retenir. Je l’ai à peine effleuré : avec une rapidité qui n’avait rien de commun, il a pivoté sur lui-même pour m’envoyer m’écraser contre le mur du fond, celui où subsistait des traces de mon propre sang, celui que je lui avais donné. Je sentais ce même sang s’écouler du haut de mon crâne tandis que je le voyais, curieusement en biais, continuer d’avancer, franchir la porte, et disparaître.

                Finalement, le sang et les larmes, je les aie eus. De tous les scénarios que l’on avait élaboré, Axel et moi, puis que j’avais affabulé moi-même quand je cherchais vainement le sommeil en supportant ses cris, c’est l’un des pires qui a finalement pris place sous mes yeux. Le pire, c’était qu’il nous tue tous les deux. Quoique…

 

O

 

                « Tiphaine… Il va falloir qu’on fasse quelque chose. »

Parce que là, franchement, ce n’est plus tenable. Est-ce que ça fait partie de son influence ? Est-ce que nous subissons les effets secondaires d’un trop grand attachement à sa présence ? Comme on se sèvre d’une drogue trop addictive ? Toujours est-il que nous sommes abattus, et qu’il rirait sans doute avec joie, s’il nous voyait. Quatre jours d’absence m’ont convaincu que la situation ne pouvait pas durer. Tiphaine me fait trop de peine pour que je puisse encore le regarder dans les yeux, ses yeux rougis, creusés, soulignés de cernes marquées. D’autant que je me sens responsable – coupable – de ce qui nous arrive aujourd’hui. C’est de ma faute, c’est évident.

                « Comme quoi ? Axel est parti. Fin de l’histoire. »

Après être passé successivement par une phase de colère intense, de désespoir sans fond, d’indifférence factice, et de culpabilité infondée, Tiph’ a à présent glissé dans la résignation. « C’est comme ça, on y peut rien ». « C’était inéluctable ». « De toute façon, ça ne pouvait pas être autrement ». Si, justement, ça peut.

                Je ne me sens vraiment pas bien. Pas seulement par rapport à ma tristesse, et mon dégout, mais physiquement, dans tout mon corps. Je n’ai plus de force. Je me sens nauséeuse, au bord de l’évanouissement. Les symptômes du manque, ceux que j’ai vu chez de nombreuses connaissances de mon milieu social qui ont le plus souvent fini six pieds sous terre, une dose de trop dans les veines, et même chez Axel, quand il s’écoulait un peu plus de temps que d’ordinaire entre ses repas. J’ai peur de savoir de quoi je manque ; la lumière du jour me devient à chaque instant un peu plus difficile à supporter, je n’ai plus d’appétit… J’ai peur de savoir ce que cela peut signifier. Je me perds en élucubrations délirantes, en essayant de recroiser toutes les informations que j’ai pu apprendre au fil de mes lectures et des films que j’ai vu sur les vampires. J’ai peur. Je crève de trouille. Je n’ai rien dit à Tiph’ évidemment, je ne dirais rien à personne. Mais je suis terrorisée.

                « Je vais te gifler si tu continues comme ça. Peut-être que ça te secoueras un peu.

                -Mais pourquoi je devrais me bouger hein ? Dis-moi ?!

                -Ça ne te dérange pas que tout se termine ainsi ? »

Il ne dit rien. Je sais que j’ai touché juste. Tiphaine est tombé amoureux d’Axel, exactement de la même façon que des milliers de connards tombent amoureux chaque jour, et je n’ai rien fait pour le protéger. Le fait est que j’ai hélas l’impression de m’être fait avoir en beauté par mes propres sentiments : Lukas n’a plus donné signe de vie depuis que l’on s’est quittés, quelques heures avant le jour de l’an et la disparition d’Axel, et je ne suis pas sortie depuis.

                « Et qu’est-ce que tu proposes alors ? On ne savait rien de lui, et je ne vois pas par quoi on pourrait commencer.

                -Moi je sais. »

Cela seul suffit à le sortir quelque peu de sa mélancolie contemplative. Je savais qu’il n’avait pas vraiment abandonné, au fond.

                « Et ?

                -Et il faut déjà qu’on se décide à mettre un pied en dehors de cet appartement. »

J’essaie de le motiver un peu, parce que je suppose que ce n’est pas gagné. L’espoir est peut-être un moteur formidable, il n’en reste pas moins fragile et laborieux à entretenir.

                Je n’ai qu’une seule piste, maigre et présentant le risque de ne mener à rien. Le souvenir d’une scène sur le pallier, la réaction d’Axel, sa perplexité, ce qu’il n’a pas voulu me dire à ce moment-là, sur le garçon qu’il croisait pour la première fois.

                Lukas.

O

 

               

                « Tiens, Stef’, bonjour ! Comment vas-tu ?

                -Bien. Désolé Samuel, je suis pressé. Est-ce que Lukas est là ?

                -Non, il est au garage. Il y a un problème ?

                -Non, ne t’inquiète pas. »

Je prends congé, quittant le hall d’entrée faiblement éclairer et le pallier de porte de l’appartement du concierge. J’ai l’impression de l’avoir répété des centaines de fois, de n’avoir dit que ça. Ne t’inquiète pas. Aux jumeaux quand maman allait à l’hôpital : ne vous inquiétez pas. À Mandy, sans cesse à s’en faire pour moi : t’inquiète pas. À mon frère, en lui disant que la douleur allait passer. À tous ceux qui se sont préoccupés de mon sort. Ne vous inquiétez pas.

                Je n’ai fait que mentir, en somme.

                Les rues ont retrouvé leur calme même si elles sont toujours encombrées par des amas de neige boueuse. Le garage n’est qu’à quelques rues de notre immeuble, et pourtant je peine à mettre un pied devant l’autre. Je suis en sueur, essoufflée et exténuée quand j’arrive finalement là où travaille Lukas, alors qu’il fait un froid polaire. J’ai demandé à Tiph’ de m’attendre à l’appartement, parce que j’ai peur de la réaction qu’il pourrait avoir, de ce que nous risquons d’apprendre. Le fils du propriétaire écarquille les yeux de stupeur en me voyant approcher. Il enlève rapidement ses gants de mécanicien plein d’huile et se précipite à ma rencontre.

                « Stef’ ! Qu’est-ce qui t’arrive ? »

Il me réceptionne au moment où je me sens défaillir. L’odeur de l’essence me monte au nez, écœurante.

                « Il faut…qu’on parle. Maintenant. »

Il me faut quelques minutes pour que mes vertiges cessent, en buvant un verre d’eau glacé dans le bureau-salle de pause du garage, mais j’ai l’horrible impression d’avoir besoin d’autre chose. Autre chose de vital. L’horloge murale égrène les secondes, bruyantes dans le mutisme qui nous éloigne l’un de l’autre.

                « Qu’est-ce qu’il y a ? »

Il me tire de mes sombres réflexions. Je voudrais lui dire de ne pas s’inquiéter pour effacer de son visage cette expression affolée, mais je ne m’en sens pas le courage. Après tout, il y a bien lieu de s’alarmer sur mon état.

                « Axel a disparu, mais je suppose que tu étais déjà au courant. »

Il ne dit rien, ce que je prends comme une invitation à continuer. Il se tient debout face dans un coin de la salle et moi je me sens en position de faiblesse, assise sur un siège en plastique. Je n’avais jamais remarqué à quel point il était plus grand que moi, plus large, plus imposant, à quel point il me dominait physiquement. Je m’en rends surement compte maintenant parce que ma confiance en lui s’est effritée. Je m’en méfie.

                « Tu connaissais Axel avant qu’il n’arrive chez moi ou, en tout cas, il t’avais déjà vu… »

Silence. Lèvres pincées, regard fuyant, bras croisés, sur la défensive.

                « Je veux que tu me dises où il est. Et tant qu’à faire, sur combien de choses exactement tu m’as menti. Et qui tu es au juste. »

L’inquiétude a laissé place à la stupéfaction, puis à la résignation. Il semble rendre les armes.

                « Très bien. Va chez moi et attends-moi là-bas. Tu n’auras qu’à dire à mon père que je rentre bientôt.

                -Tu as intérêt. »

Je suis partie, en faisant un effort immense pour ne pas tituber, et pour ne pas me retourner pour rencontrer ses yeux noirs et insondables que je devinais peser sur moi.

 

O

 

                « Je suis semblable à ce que tu es en train de devenir, même si c’est à un stade beaucoup moins avancé chez moi. Et je suis à leur service. »

C’était évident. C’est comme ça qu’il commence, maintenant que nous sommes installés dans sa chambre au mur envahie de photos de Prague en noir et blanc. J’aime bien cette chambre, d’ordinaire. Aujourd’hui j’ai envie d’y mettre le feu. Je le dévisage avec insistance, attendant la suite.

                « Qu’est-ce que tu veux dire ?

                -Il t’a mordu. À plusieurs reprises. Le poison contenu dans le corps des vampires est inoffensif à faible dose pour les humains, mais à la longue, tu…

                -Tu deviens comme eux.

                -Le processus a déjà commencé. Johan n’est pas n’importe qui.

                -Alors c’est bien comme ça qu’il s’appelle… »

Maintenant que je le sais, je trouve que finalement, Axel lui convenait mieux.

                « En fait, c’est un diminutif, son nom c’est…

                « Peu importe. Et pour toi alors ?

                -Ah, moi, c’est différent. Je n’ai été mordu qu’une seule fois. »

Il relève brièvement son t-shirt, et subsiste sur son flanc la trace d’une mâchoire de bonne taille. Je reste quelques secondes interdite. Je me suis fait avoir sur toute la ligne. Il continue, indifférent à mon mal-être. 

                « Une sorte d’accident malheureux. Je ne deviendrai jamais un des leurs, à moins de me faire croquer à nouveau. Mais je suis enchaîné à leur famille. C’était ça ou l’amnésie totale.

                -Et tu as choisi de faire le larbin. C’est vrai, c’est tellement plus agréable…

                -Ne juge pas sans savoir. On ne renonce pas si facilement à ses souvenirs.

                -Ce n’est pas ce qu’il lui est arrivé,  à lui ?

                -Pas exactement. Ce n’était que temporaire. C’était un châtiment. »

Le fameux « châtiment », celui qui en était à la moitié quand je me suis fait agressée, celui qui a amené Axel sur la pas de ma porte.

                « Alors dis-moi. Où est-ce que je peux le trouver ? »

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 21:26

 

 

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Collier Kiss Me Zombie ! >>

 

Chapitre 10


 

Dans la famille des clichés, je demande la soirée de Noël entre amis sans famille.

                Bonne pioche.

                Ça devient un peu risible cette histoire. Enfin bon.

                Je me suis très naturellement éclipsée après avoir donné mes cadeaux à leur destinataire. Je déteste offrir des cadeaux. Je déteste attendre comme une idiote que l’autre déballe tranquillement, qu’il ait une réaction le plus souvent surjouée, et qu’il me fasse la bise pendant que je lui souris d’un air niais. Je préfère encore avoir subitement envie d’aller aux toilettes. Voilà. En tout cas ils ont parfaitement joué le jeu et personne n’a fait de commentaire sur ma fuite à l’anglaise. C’est déjà ça.

                Inutile de préciser qu’ils étaient tous aux anges. C’est assez vexant, mais j’ai la très nette impression qu’ils avaient vraiment envisagé que je n’aurais rien à leur offrir. C’est bien sûr Axel qui a été le plus surpris. J’avais écrit derrière « tu l’accrocheras dans ton caveau en souvenir de ton meilleur festin », et tant pis si les autres ont cru que je parlais du repas de Noël que l’on avait dévoré sans qu’il n’en touche, bien sûr, une seule miette. En fait, j’y ai passé toute ma journée d’hier, au cyberespace pour ne pas me trahir. Une sorte d’affiche de cinquante centimètres par 90, sur lesquels j’ai écrit en gros « LE PAYS DES CLICHES – SCENARIO DU NAVET DE NOTRE HISTOIRE ». Et j’ai collé des images de tous les films auxquels notre petit périple se réfère. Blade, Van Hellsing, Le Retour de Dracula, Buffy, Nosferatu, Underworld… et bien sûr, Twilight, à l’honneur. Ce n’est ni très réussit ni très intelligent comme blague, d’autant qu’il a fallu faire croire à Lukas et Mandy qu’il s’agissait d’une « private joke » entre nous, mais rien que le sourire que nous nous sommes échangé, Axel et moi, en valait la peine. Je me suis revue le jour où nous nous sommes battus avec nos oreillers, et j’ai été plutôt fière de mon idée. Bien entendu, j’ai vite beaucoup moins ri quand ils se sont tous tournés vers moi avec un « maintenant, c’est ton tour » des plus embarrassants. Je déteste recevoir au moins autant qu’offrir, je ne sais jamais comment réagir, quelle tête faire. C’est vraiment gênant.

                Enfin bref, j’ai eu droit à un bonnet avec des oreilles de chat – de Mandy fait par ses soins et ayant une forme bizarre, un chat en peluche par mon frère (j’adore les chats), un énorme oreiller multicolore de Lukas – « Parce que je sais que tu dors sur un ancien matelas de Gustav, c’est dur » - et enfin, du vampire, un pendentif en forme de dent de vampire, justement – sérieux, je ne pensais pas que ça existais. Il m’a lâché un « comme ça, tu pourras te venger » et j’ai éclaté de rire. J’avais déjà bu pas mal de champagne ; d’ailleurs, Mandy a du participer de manière conséquente à l’organisation, parce qu’on n’a certainement pas autant d’argent, nous autres habitants du HLM pourri. Quoiqu’il en soit, j’étais sacrément contente. Ensuite, on a mis de la musique, on a fait un peu les cons, j’ai pas mal bu (j’ai remarqué avec désespoir que l’alcool n’a pas d’effet sur les vampires, ou alors Ax a fait semblant d’en boire). On a également coupé des pommes en deux pour voir si la chance serait avec nous cette année. Seule Ax à aperçut une étoile dans la sienne, mais de toute façon c’est n’importe quoi comme croyance. On n’a quand même pas fondu du plomb par contre. Et puis au final, les deux amants sont partis tester la douche et j’ai dû coucher Mandy sur le canapé car elle ne tenait plus debout. On passe donc au deuxième cliché de la soirée : la fille et le gars (plus ou moins) seul dans l’appartement. Mon esprit s’était vautré dans un nuage cotonneux, chaud et confortable, nous nous sommes assis contre le canapé où dort Mandy, hors-jeu. L’air embaume encore la nourriture et les bougies parfumées, mes yeux se ferment tout seul.

                « Tu voudrais pas sortir avec moi ? »

Là, si on était dans un manga, je me retrouverais le nez contre le plancher et les jambes en l’air, accablée par une  demande aussi soudaine et aussi dénuée de tact. Je me relève difficilement.

                « De quoi ? »

Apparemment, le sens de sa question lui semble suffisamment clair pour qu’il ne prenne pas la peine de la répéter. Il se contente de me fixer, très sérieux, plus que je ne l’ai jamais vu être, les sourcils légèrement froncés. Il est diablement beau comme ça. Je suis maintenant complètement réveillée.

                « Attends, tu te rends compte de ce que tu dis ? 

                -Ben ouais. »

Je rêve. Il est con ou quoi ?

                « Non mais t’es sérieux là ? Tu veux sortir avec moi ? Avec moi ? »

J’insiste bien pour lui faire saisir le problème, mais il n’a pas l’air de percuter.

                « En quoi est-ce si aberrant ?

                -Je suis plus vieille que toi. »

Je lui ai balancé le premier argument stupide qui m’est venu à l’esprit, tellement ridicule qu’il fronce un peu les sourcils.

                « Tu n’espères pas me faire fuir avec ça quand même ?

                -Je suis chiante.

                -Pas tant que ça.

                -Je suis une garce.

                -Ça, c’est toi qui le dis.

                -Je n’ai jamais aimé personne. »

Et là, il comprend immédiatement le sens de ma réplique.

                « Sérieux ?

                -Attends, tu m’as bien regardé ? Je ressemble plus à un mec que toi, et je ne laisse personne m’approcher. Comment tu veux que… »

                Application fulgurante du cliché numéro un des méthodes « j’ai envie de te faire taire » : il m’embrasse de nouveau, pour la deuxième fois, assis trop près de moi contre le canapé minable où Mandy, la bave aux lèvres, marmonne dans son sommeil en serrant une poupée mal faite dans ses bras et je souhaiterais vraiment être ailleurs, ou alors, qu’elle ne soit pas là.

                « Alors ? »

Il sourit tellement que je vois ses dents blanches briller d’un éclat aveuglant et que ses yeux sont réduits à deux parenthèses qui interrogent mes sentiments. Je fixe ses lèvres tentantes, mordille légèrement les miennes.

                « Ouais… Si tu veux… »

Il sourit plus encore, visiblement ravi, et m’embrasse à nouveau. Je crois que je ne m’y ferai jamais.

                « Au fait, pourquoi tu passais pas Noël chez toi ? »

Changement de conversation : Go ! Il ne s’en offusque pas.

                « Mes parents sont musulmans. On ne fête pas Noël chez nous.

                -Pourquoi tu es venu alors ?

                -Bah… Pour te voir ! »

Je laisse aller ma tête contre le canapé en soupirant. Je peux apercevoir le bout du nez de Mandy qui sourit en dormant. Ils sont tous idiots, c’est pas croyable.

                « Pour me voir… »

Comment ai-je fait pour qu’on m’aime, moi ? 

 

o

 

                Cette histoire n’est somme toute pas très sanglante. Pour une histoire de vampire je veux dire. En excluant bien sûr les séances d’arrosage d’hémoglobine qui ont en général suivis les repas d’Axel, et dont j’ai d’ailleurs eu le plus grand mal à masquer les traces sur les murs et le sol, ça reste très soft, quand même. Pas de cadavres, pas de larmes, pas de grands drames en huis-clos. C’est un peu ridicule, non ?

                Le lendemain, c’était l’hécatombe dans mon appartement et non, pas dans le sens où Axel aurait pété un plomb et égorgé tout le monde. Juste qu’il y avait des restes de nourritures et des morceaux de papiers froissées un peu partout, que Mandy comatait toujours sur mon clic-clac, à côté de Tiphaine pas vraiment dans un meilleur état, et que Axel et Lukas regardait les dessins animés du matin avec une admiration parfaitement sincère. Hier, on s’est rapidement endormi à même le sol, Lukas et moi, rejoint presque immédiatement pas Tiph’ qui s’est vautré sur le canapé à côté de Mandy, et Ax qui s’est pelotonné contre moi. D’ailleurs, je ne sais pas lequel des résidents du logement a eu la présence d’esprit de fermer les stores pendant la soirée, mais en tout cas, ça nous a évité un tas de complications particulièrement gênantes, compte tenu des deux invités ignorant tout de la condition de mon premier réfugié. On a tous traîné un peu, en rangeant vaguement ce qui nous tombait sous la main, débraillé et mal réveillé. Finalement, j’ai mis les deux convives dehors sur les coups de 17 heures, au risque de devoir nourrir encore quatre idiots au lieu de deux. Lukas m’a embrassé suffisamment visiblement pour que Mandy, mon frère et Axel le remarquent. Je les ai poussés dehors avant toute remarque embarrassante, même si je lisais sur le visage de Mandy la promesse de m’arracher des détails croustillants. J’ai dû supporter le petit sourire narquois d’Axel et celui, plus doux, de Tiph’.

                « Je reconnais que c’était une bonne idée, Tiph’. Mais ne compte pas sur moi pour remettre ça au nouvel an. »

                Nous avons ri un peu, et cela a clôt l’épisode de Noël.

 

o

 

                « Stef’, je peux te parler d’un truc ? »

Je me détourne du roman que je suis en train de dévorer – l’échiquier du mal, de Dan Simon, il faudra que j’en parle à Ax, ça révolutionne carrément le concept associé au terme « vampire » - pour tomber sur le visage adorablement rougissant de mon jeune frère. 

                « Vas-y, je t’écoute » dis-je en me tournant face à lui, pour faciliter le dialogue.

                « Et ben… » Il jette un rapide coup d’œil à Axel, endormi sur le canapé redevenu lit, à cette heure tardive de la matinée, se triturant les doigts où brillent une bague que le vampire lui a offert. « Ax ne voulait pas que je t’en parle mais… enfin, je suis pas tranquille, alors je préfère te le dire. »

                Il m’inquiète un peu là. Si c’était une fille, je le soupçonnerais d’avoir un retard sur ses règles, mais là, je ne vois pas. Ses joues rougissent plus encore.

                « Bon, tu vas pas t’énerver hein ?

                -Je sais pas, ça dépend de ce que tu vas me sortir.

                -Non mais je veux pas que tu te mettes en colère, je te promets que c’était pas fait exprès…

                -Mais de QUOI bordel ?

                -En fait, il se pourrait que Ax m’ai… un tout petit peu mordu, l’autre jour. Enfin, une fois ou deux. Plusieurs fois en fait. »

                Il a bien sûr tout de suite remarqué les vapeurs d’onde négative qui ont commencé à nous asphyxier. Je l’ai vu paniquer, chercher un moyen rapide et efficace de sauver sa vie, en regardant dans tous les sens et en faisant de grands gestes avec ses bras.

                « Pitié, Stef’, laisse-moi t’expliquer, je te jure que c’est pas du tout ce que tu crois ! C’était pas pour le nourrir, je t’assure !

                -Je te donne trente secondes pour tenter d’épargner la vie de ton très prochainement ex-copain.

                -Le truc c’est que… Putain, Stef’, je peux pas te dire ça comme ça… C’était… enfin, tu vois, pendant qu’on… tu vois ? »

                Il me jette un regard désespéré. Je comprends brusquement de quoi il veut parler. Ma colère retombe d’un coup.

                « Attends… Explique-moi ça ?

                -Stef’, n’en rajoute pas, t’as très bien compris…

                -Non non non, je veux que tu m’expliques. »

Je vois très nettement ses joues s’échauffer au point de le faire fumer tandis qu’il me supplie du regard de ne pas l’obliger à le dire. Bien sûr que j’ai compris. Mais c’est sa punition. Il passe sa main sur son crâne tondu, cherchant un soutien inexistant dans les affaires diverses qui encombrent le sol de l’appartement.

                « Tu sais bien, tu vois… dans le feu de l’action quoi.

                -Mais encore ?

                -Mais merde, Stef’ ! Il m’a mordu pendant qu’on faisait l’amour, voilà ! »

Il l’a dit. J’éclate d’un  rire sonore, ce qui a pour conséquence de le faire bouder. Craquant.

                « T’es vraiment une garce…

                -Tu sais bien que je t’aime, Tiph’ !

                -Bah moi je suis pas sûr.

                -Aller, fait pas la tête, tu l’as cherché ! Tu as désinfecté au moins ? T’as fait un peu gaffe ?

                -Ouais, ouais, t’inquiète.

                -Bon… »

Je ne peux pas me retenir plus longtemps, et je me mets à rire de nouveau de bon cœur. Il se renfrogne.

                « C’est bon, arrête de te foutre de moi !

                -Excuse-moi mais… Tu es toujours si honnête. Quel besoin avais-tu de me le dire, franchement ?

                -Je ne te dirais plus rien si c’est comme ça.   

                -Arrête donc de faire ton gamin. Bon, je te pardonne, mais veille à ce que ça ne devienne pas habituel non plus, ou tu vas finir vidé de ton sang.

                -Comme toi ?

                -Je crois que vous couchez ensemble un peu plus souvent que je ne donne mon sang à Ax, Tiph’. »

Cette réplique a pour mérite de le faire taire, de lui faire piquer un nouveau fard, et de nous éviter un terrain glissant. Enfin, surtout pour moi. Je ne leur ai pas parlé de mon petit séjour à l’hôpital, et je ne tiens pas à ce qu’ils l’apprennent un jour. C’est à moi de gérer ça. Ax remue un peu dans son sommeil, attirant l’attention de Tiph’ qui me délaisse. Ça m’arrange, pour une fois.

 

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 18:10

 

 Prague_by_Kvikken.jpg

Image : Prague, by Kvikken (DA)

 

 

Chapitre 9

 


                Maintenant que j’y pense, je ne crois pas que les trois types qui maltraitaient Axel le jour où je l’ai trouvé étaient des vampires. À mon avis, ils l’ont juste trouvé là, et ils en ont profité, parce que c’étaient de sombres connards. A noter que le quartier n’a pas une réputation très brillante. J’ai d’ailleurs mis en garde Axel et Tiphaine plus d’une fois quand ils sortaient tous les deux, de ne pas étaler leur idylle toute rose à la vue de tous. Par contre, ça n’explique pas les chaînes. Je crois qu’il a sciemment été abandonné ici. N’était-ce pas sa « punition » ? Puni de quoi ? Pourquoi ? Et bien sûr, la question à deux mille euros : jusqu’à quand ?

                Axel m’évite. Il fait toujours en sorte de ne pas pouvoir me parler, d’avoir toujours mieux à faire, il utilise souvent Tiph’ comme prétexte d’ailleurs. Je dois avouer que je n’avais pas prévu que cela aille aussi loin. Je veux dire, je ne pensais pas que ce serait… de l’amour. Pour moi, ils devaient juste flirter un peu, coucher ensemble, se marrer. Mais je me suis fourvoyée. Pour Tiph’, ça ne m’étonne pas vraiment parce qu’il est très fleur bleue, mais pour Ax…. Je lui en veux un peu de prendre ce risque, de s’être à ce point attaché. Et la jalousie me ronge. Parce que moi, je ne compte pas. Ensuite, naturellement vient la honte de penser de façon aussi puérile. Et la honte cède à la colère, et je leur en veux d’être ce qu’ils sont et d’avoir fait de moi une pauvre idiote en mal d’affection. Je me portais mieux quand ils n’étaient pas là. Mais je les adore, l’un comme l’autre, alors la honte reprend le dessus. Tiphaine est mon frère, Ax, c’est tout comme, et moi, je souhaiterais parfois les rayer de ma vie. Je me déteste. Je les déteste plus encore.

                « Stef’, ça te dirait qu’on organise un petit truc pour Noël ? »

Je regarde Tiphaine avec des yeux ronds, alors qu’il essaie d’avoir l’air naturel, comme si sa proposition était des plus banales. Il porte ce pull vert que je déteste, celui qu’il a acheté avec sa première paie et qui, selon moi, le fait ressembler à un taulard déguisé en fils à papa. Ça ne me met déjà pas dans de bonnes dispositions. Et puis le chauffage a des ratés depuis quelques jours. Il fait froid dans l’appartement. Je déteste ça.

                « Comment ça ?

                -Et ben, tu sais… On achète à manger, on met un peu de musique, on rigole, on… euh… on s’offre des cadeaux ?

                -Tiph’… Tu m’as acheté quelque chose ?

                -Hein ? Mais non… »

Je sais toujours quand il ment. Il n’est pas fait pour ça. Dans notre famille ce sont les femmes les spécialistes de la manipulation, de la simulation, du mensonge impudent. Tiphaine, lui, est trop honnête pour me cacher des choses, surtout à moi, je le connais trop bien pour me laisser berner. Il regarde les murs, les fringues qui s’amoncellent dans tous les coins, à plus forte raison depuis que nous sommes trois, il se balance d’un pied sur l’autre et je devine ses mains se tordre même si il les a cachées dans son dos, essayant naïvement de me faire croire qu’il est parfaitement à l’aise.

                « Tiph’…

                -Mais quoi ! On pourrait se faire une petite fête non ? Et pourquoi pas ?

                -Je n’aime pas vraiment recevoir du monde chez moi Tiph’. Et puis, ce n’est pas comme si on avait vraiment de la place ou de l’argent à perdre…

                -Tu économises tous ce que tu gagnes. Je le sais bien. Tu ne devrais pas être aussi… austère. »

Ça, c’est méchant. Je me ferme instinctivement, peu désireuse d’entendre la suite. Je me mets à ramasser des fringues au hasard pour les fourrer sur mes étagères surchargées, pour me donner contenance et ne pas avoir à croiser son regard.

                « Excuse-moi, c’est juste que… Tu as l’air maussade, grande sœur. Je m’inquiète pour toi.

                -Trop aimable. »

Je ne peux pas m’empêcher d’être agressive quand on me dit des choses que je n’aime pas entendre. C’est un réflexe d’autodéfense puéril mais efficace, bien qu’il soit légèrement dégradant. Tiph’ préfère clore la discussion et rejoint Axel dans la salle de bain. Je me retrouve seule au milieu de la pièce, une culotte sale dans la main, sombre et déstabilisée, légèrement ridicule aussi. Si je ne suis même pas capable de rassurer mon propre frère… Je suis bonne à quoi ?

                « Au fait, Tiph’… »

Je profite du fait que l’on entende toujours le bruit de la douche, laissant supposer que le concerné n’entendra pas ma question – et surtout, n’entendra pas sa réponse.

                « Tu es amoureux de lui ? »

La douche s’arrête, sans que l’on puisse déterminer si c’est une coïncidence, le silence se fait tandis qu’il rougit comme une jeune fille, et me tourne brusquement le dos en marmonnant :

                « Qu’est-ce que ça peut te faire d’abord. »

Je souris.

                « Comme je le pensais. »

Il disparait dans la salle d’eau en verrouillant la porte. Mon sourire s’évanouit.

                Comme je le craignais…

                « Et tu l’aimes comment ? Dis, Tiph’, tu l’aimes plus que moi ? »

J’ai hurlé cette question dans le secret de mon esprit en regardant la porte se refermer sur lui. Je ne lui demanderais jamais. Je ne veux pas savoir.

 

O

 

                Il est revenu à la charge, plusieurs fois, soutenu parfois par Axel qui semblait plutôt emballé par le projet. Ils m’ont promis qu’ils s’occuperaient de tout, que je n’aurais rien à faire, et qu’ils n’inviteraient pas d’inconnu dans mon appartement. Alors j’ai dit oui. Et Tiph’, est parti, triomphant, organiser notre soirée de Noël. Je me ramollis…

                Tiphaine a raison, je ne dépense presque rien de ce que je gagne au vidéoclub. À part un minimum pour les courses et ma participation toute relative au loyer, je mets tout de côté. À plus forte raison depuis que j’ai l’avenir de mon jeune frère entre les mains. Je n’ai besoin de rien en particulier, et le peu que j’ai, je l’ai obtenu de manière pas très légale et à des prix largement avantageux. Alors oui, j’économise. Je ne me sens pas de faire autrement. J’achèterai tout de même quelque chose pour les garçons. Et pour Mandy, et Lukas, histoire de les remercier de m’avoir secourue, même si ça ne m’a pas spécialement fait plaisir. Je n’ai jamais dépensé un sou pour offrir à quelqu’un. Encore une fois, je ne sais pas ce qui me prend. Une autre peur a d’ailleurs germé dans mon esprit il y a peu : quand Axel disparaîtra de ma vie, est-ce qu’il emportera avec lui les effets qu’il a eu sur mon esprit ? Est-ce que je redeviendrai identique à la garce que j’étais avant ? Ou est-ce que je resterai le mollusque que je suis aujourd’hui ? Sincèrement, je ne sais pas pour quelle personnalité j’opterais, si d’aventure on me laissait le choix.

                Les vacances de Noël approchent, et je n’ai toujours pas la moindre idée de ce que je vais acheter à mes quatre idiots. C’est à ça que je réfléchis, à la place de me concentrer sur mes équations en cours de stéréochimie. Pas que je craigne vraiment de tomber à côté, après tout, c’est l’intention qui compte, mais je n’ai tout simplement pas encore eu le courage de me poser la question, et pire que tout, de devoir affronter la journée de magasinage qui va fatalement en découler. Je déteste la foule, les boutiques, les gens qui se pressent en tous sens, les files d’attente, les vendeurs… Je préfère savoir précisément ce que je veux acheter et ainsi écourter autant que possible l’enfer des achats de Noël.

                Plus possible de repousser davantage. Noël, c’est après-demain.

                « Axel, Tiph’, je vais faire un tour, je reviens.

                -Ok ! »

Tu parles que c’est « ok », ils sont trop content de pouvoir disposer librement de mon deux-pièces pour leurs ébats. D’après ce que j’ai pu observer, ils ont passé le cap récemment, ce qui les rend encore plus insupportables qu’avant. Mais bon, je ne dis rien. Parce que je ne dis jamais rien de ce que je ressens en général. C’est sans aucun doute un tort. Mais je ne compte pas faire quoique ce soit pour que ça change.

                « Je peux vous aider Madame ?

                -Oui, bien sûr. Vous vendez des accessoires de bondage ?

                -Euh… je… non, non, désolé… 

                -Alors tant pis. »

Je quitte avec une satisfaction malsaine la boutique de babioles et sa vendeuse godiche. Je deviens exécrable quand je suis contrainte à ce genre d’activité, encore plus exécrable qu’à l’accoutumée. J’ai déjà trouvé pour mon frère – un t-shirt dont il m’a rebattu les oreilles depuis qu’il l’a repéré – et pour Mandy – une poupée en plastique qui porte la réplique exacte de la robe rose que Mandy elle-même portait au jour de l’an, il y deux ans – les plus faciles, en somme. Même pour Lukas, ça ne va pas être bien compliqué, il suffit que je lui trouve une petite voiture en ferraille – l’idéal serait une Mustang, ses préférées. Non, le vrai problème, c’est Axel.

Je réalise seulement maintenant que le vampire reste, et restera sans doute, un mystère pour moi. Je ne sais rien de lui. Déjà parce qu’il ne se souvient de rien, bien sûr, mais aussi parce que je n’ai jamais vraiment pris le temps de lui parler. Je ne sais pas vraiment quel est son caractère, s’il est plutôt calme ou emporté, quel couleur il préfère, les rêves qu’il peut bien nourrir. Je me demande si Tiph’ le sait, lui, si il a pris la peine de lui demander et si l’autre le lui a dit. Je suppose que oui.

Je traverse avec empressement l’avenue sur-fréquentée de Na Prikope sans même jeter un regard aux boutiques hors de prix. Les touristes abondent à cette période de l’année, principalement pour le jour de l’an. La neige est tombée récemment, rendant les rues boueuses et glissantes, et les grands bacs remplis de carpes frétillante encombrent les trottoirs. La période de Noël est très festive à Prague.

Qu’est-ce que je vais bien pouvoir offrir à mon vampire d’appartement ? Je réfléchis à ce qui peut bien lui convenir, au peu que je sais de lui. Alors, je sais… je sais…

                Je sais.

                J’ai trouvé.

                Ça ne me ressemble pas du tout. De me démener pour quelqu’un. Je n’ai jamais été très adroite de mes mains ni eu de dons d’artiste, mais maintenant que j’ai attrapé l’idée au vol, je ne peux plus la lâcher. Tant pis si ce n’est pas vraiment moi. Tant pis si il me manipule, si il nous quitte un jour, si je souffre de sa présence et que je souffrirai peut-être plus encore de son absence. Je vais le faire. Un pur truc qui nous ressemble, comme dans les films idiots où ils offrent des cadeaux ultra-personnalisés, qui symbolisera ensuite notre lien et le temps qu’il aura passé chez moi. Parce que d’une manière ou d’une autre, cette époque prendra bientôt fin. Je fais un petit détour pour passer devant la grande horloge à laquelle je murmure une courte prière. Que Prague nous garde ensemble.

 

O

 

                Je me demandais comment j’allais paraître naturelle en frappant chez Lukas – que je n’ai pas revu depuis qu’il m’a… bref – pour lui donner son cadeau, et comment j’allais me démerder pour que Mandy reçoive le sien sans que je sois dans les parages, et ainsi éviter les effusions et les larmes de joie dont elle m’a gratifiées la dernière fois, alors qu’elle savait que je l’avais piquée cette écharpe. Apparemment, elle l’applique vraiment, elle, le principe du « c’est l’intention qui compte » : le plus souvent, elle fait ses cadeaux elle-même, et elle a clairement deux mains gauches. Sauvez-nous.

                Ces questionnements étaient vains, comme j’ai pu le constater il y a quelques minutes : les deux personnages précédemment nommés étaient tous les deux assis sur le sol de mon appartement quand je suis rentrée du boulot pour le réveillon. 

                Je dois admettre que Tiph’ a fait ça très bien (il a bien plus de goût que moi) : ils avaient enlevé le matelas et poussé le clic-clac replié contre le mur, pour laisser un espace au milieu suffisamment grand pour que l’on puisse s’asseoir en rond autour de la table matérialisée par une nappe en papier blanche couverte d’étoiles dorées. Il y avait bien sûr une overdose de guirlandes de toutes les couleurs qui perdaient des poils partout dans l’appartement, et même un minuscule sapin d’à peine trente centimètres sur le comptoir de la cuisine. Par contre, il y avait aussi deux non-pensionnaires sur le parquet, et ça, ça a eu légèrement tendance à faire monter ma tension. Que Tiphaine à rattraper tout de suite :

                « Tu avais dit « aucun inconnu », je te cite. »

Effectivement, je n’avais rien à redire à cela : c’était parfaitement vrai. Et je n’avais pas envie de m’énerver, ce soir. Alors j’ai laissé couler. Je me vengerai plus tard.

                Et donc, nous sommes cinq pour notre petit repas de Noël sur le sol. J’ai appris avec soulagement que ni Axel ni Tiphaine n’avait fait la cuisine – pas un pour rattraper l’autre dans ce domaine – mais que c’est Mandy qui s’y était collée – elle ne se débrouille vraiment pas mal du tout, à mon grand étonnement. Elle a pris pour un compliment mon « enfin un truc que tu sais faire », d’ailleurs. Il faut dire qu’elle irradie littéralement de bonheur, dans sa petite robe blanche sans doute achetée pour l’occasion.

                « Tu l’aurais vu quand je l’ai invitée… J’ai cru qu’elle allait en pleurer » m’a confié Tiph’ en souriant. Il a l’air de l’apprécier, et c’est tout à son honneur. Remarque, les autres aussi. C’est peut-être moi, le problème, au final ?

Lukas, lui, est égal à lui-même, c'est-à-dire qu’il génère de la bonne humeur par sa seule présence. Il ne semble pas y avoir de malaise entre Axel et lui, au contraire, ils rigolent bien – ce qui ne plait pas trop à Tiph’, ne puis-je m’empêcher de noter – j’en conclus que l’incident de leur première rencontre n’était qu’une peccadille. Il y a de bonnes choses à manger – beaucoup de petits gâteaux aux amandes, et des morceaux de carpe grillées avec de la salade de pomme de terre bien sur – pas mal de boissons dont une bonne quantité d’alcool que Tiphaine boit en douce mais sans la moindre discrétion, et je suis bien. Lukas n’arrête pas de me sourire, sa main égarée distraitement très proche de la mienne, et Mandy rit à n’en plus finir, Axel et Tiph’ se comportent comme deux amoureux à leur premier Noël. Je suppose que tout est bien.               

                « Au fait, Mandy, pourquoi tu n’es pas chez toi ?» lui ai-je glissé discrètement en l’aidant à la cuisine, pour ne pas l’embarrasser je suppose.

                « Ah… Et ben, tu sais, elle… Enfin, elle est encore avec un homme… Ailleurs.

                -Comment ça ailleurs ?

                -Je ne sais pas. Elle ne m’a rien dit.

                -Depuis combien de temps ?

                -Je ne sais pas. Deux… deux ou trois semaines…

                -QUOI ?? »

Alors là, je ne me soucis plus du tout d’être entendue. Les autres nous jettent des regards curieux mais ont la présence d’esprit de ne pas intervenir.

                « Et tu es toute seule depuis tout ce temps ? Mais pourquoi tu ne m’a rien dit ?

                -Tu… tu n’avais pas l’air bien, je n’ai pas voulu t’embêter. Et puis… »

Elle a les larmes aux yeux mais elle refuse de continuer. Je sais très bien pourquoi, tout comme je sais ce qu’elle ne veut pas me dire. « Et puis, tu n’en aurais rien eu à faire, tu sais. Tu ne m’aurais même pas écoutée ». Je vois les larmes prêtes à déborder, ses mains triturer le bas de son pull en cachemire rose pâle enfilé sur la robe trop décolleté, pour ne pas réclamer ce qu’elle veut plus que tout et que je peux bien lui concéder ce soir. C’est Noël. Et puis… Axel est dans ma tête.

                Je passe précipitamment un bras autour de ses épaules, et je l’attire contre moi.

                Ses larmes se tarissent d’un coup. Je ne l’ai jamais prise dans mes bras, bien sûr. Je ne lui ai jamais manifesté le moindre signe de tendresse ou d’affection, même pas la bise pour dire bonjour dont je suis avare. Je la lâche rapidement, sentant qu’elle va exploser et me sauter dessus, et que les regards des autres sont posés sur nous. Pour stopper tout débordement d’émotion, je m’éloigne avec empressement pour fouiller dans mon sac resté près de la porte, et je tends à Mandy, la petite fille qui m’a supporté sans broncher pendant cinq ans, un paquet cadeau particulièrement mal fichu, sommairement entouré de ruban à cadeau. Je vois ses yeux briller encore plus fort.

                « C’est juste parce qu’elle a ta tête, et parce que j’étais obligée. T’excite pas. »

Bien entendu, une fois le cadeau déballé, elle s’excite complètement. Finalement, je n’y aurais pas échappé : elle me saute dessus en hurlant de joie, manquant de nous faire nous étaler sur le sol toutes les deux. Je souris quand même un peu, parce qu’elle pleure vraiment de joie, et que j’ai bu quelques verres. Je la console. Plus ou moins.

                « Mandy, t’es ridicule…

                -M’en fiche… »

Une vraie gamine.

                « Bon, c’est l’heure des cadeaux alors ? »

Et merde. Je les avais oubliés ceux-là. J’ai donné le sien à Mandy sur un coup de tête, mais bien sûr, Tiph’ a sauté sur l’occasion. En fait, moi j’espérais qu’ils oublient et qu’on zappe ce passage embarrassant.

                « Et bien allez, c’est parti ! »

Je les déteste…

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 17:52

 

  

  

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   l i t t l e m o n s t e r - gutterface (DA)

 

Chapitre 8


                « Putain, Stefane, laisse-moi rentrer !

                -Pas tant que tu ne m’auras pas donné ta parole !

                -Va te faire foutre !

                -Alors tu peux rester dehors. »

Nouvelle crise de nerf, nouveaux cris enragés, nouvelle grosse prise de tête, environ deux semaines après la première et une semaine et demi après mon gentil passage à tabac, dont je n’ai pas soufflé mot ni à mon frère ni à son nouveau petit ami suceur de sang, ce dernier étant d’ailleurs l’objet de notre présente dispute. J’ai toujours une jolie coupure sur la lèvre inférieure et une pommette un peu enflée, mais globalement, il n’y parait plus. Tant mieux. J’en avais marre que les gens à la fac me regardent de travers. Je veux dire, encore plus de travers que d’habitude, presque en faisant le poirier. Certains visages annonçant clairement « je m’en doutais, sale délinquante droguée, c’est à cause de gens comme toi si notre société court à sa perte ». Bon peut-être que ce n’est pas écrit sur leur visage. Mais c’est immanquablement ce qu’ils pensent.

                « Stef’, tu crois pas que t’exagères là ?

                -Axel, ta gueule. »

J’ai au moins la satisfaction de toujours pouvoir le rembarrer quand il me gonfle. Manquerait plus qu’il me rende polie en plus. Je lève une main vers lui, lui signifiant clairement de ne pas s’approcher davantage.

                « Stefane, OUVRE !

                -C’est ça, appelle-moi par mon prénom, ça me donne tellement envie de m’exécuter. »

Je me suis remis à parler à ma porte d’entrer, adossée au battant pour entendre ce que mon petit frère a à me dire. Je suis extraordinairement calme pour une fois. Sans doute parce que je sais que de toute façon c’est moi qui aurais le dernier mot.

                « T’es qu’une sale garce ! »

Charmant.

                « Et toi t’es mon petit frère et tu vis à mes crochets, alors je te déconseille de la ramener. »

Le problème, c’est qu’il a bien fallu faire croustiller les détails de la condition d’Axel et de notre petit manège à Tiphaine qui a exigé des explications. Et comme j’aurais pu le prévoir, ça ne lui a pas du tout plu d’apprendre que je donnais régulièrement de mon liquide vital à celui qui partage son lit (en tout bien tout honneur soi-disant, et en plus il me prend vraiment pour une abrutie…). Mais son emportement à lui n’était rien à côté du mien quand il a osé émettre l’idée qu’il pourrait, lui aussi, participer au repas du vampire en apportant sa dose au festin d’hémoglobine qui par ailleurs pose toujours le problème des tâches de sang partout, continuant de faire hebdomadairement passer mon appartement pour une scène de cérémonie sataniste. J’ai explosé littéralement et, après environ deux minutes de pourparlers qui m’ont clairement fait entrevoir qu’il n’en démordrait pas, j’ai opté pour une solution plus radicale : je l’ai choppé par le t-shirt que je cherche depuis trois jours et je l’ai foutu dehors où il s’égosille contre la porte fermée depuis quoi… dix bonnes minutes ? Je m’étonne que personne ne soit encore venu s’en plaindre.

                Je refuse catégoriquement et entièrement qu’il fasse cela. Je conçois qu’il ne puisse pas le comprendre et qu’il m’en veuille d’être aussi intransigeante, mais c’est hors de question. Je suis appuyée contre la porte, l’écoutant proféré tout un tas d’injures, dont la plupart que je lui ai moi-même apprises, à une époque bénie où il n’y avait ni dégénérescence familiale ni amateur de veines saillantes dans nos vies. Il doit avoir froid, dans ce couloir mal isolé. Bien fait tiens.

                « Mais putain c’est pas possible d’être aussi bornée !

                -Tiph’, en quoi c’est si extraordinaire que je ne veuille pas que tu te fasses saigner ? Tu es mon frère merde ! Et sois un peu plus poli sale gamin !

                -Je fais ce que je veux !

                -Certainement pas ! »

On croirait entendre une mère et son ado boutonneux qui veut se faire un piercing à la langue. Je ne veux pas qu’il se blesse volontairement pour Axel, que j’ai pris seule la responsabilité de recueillir et de nourrir. Mon regard dévie furtivement sur mes poignets qui m’élancent en permanence, car tout cela n’est pas très sain, quand même. Je cicatrise à peine que déjà il faut ré-arracher les croutes et refaire couler le sang.

                « Stef’, je comprends pourquoi tu ne veux pas mais…

                -Toi, n’essaie pas de m’amadouer. Je sais très bien comment tu fonctionnes et l’effet que tu as sur moi. Vous pouvez toujours courir, t’as compris ? »

                Je hausse à nouveau le ton pour être sûr que Tiphaine m’entende.           

                « Tiph’, ce n’est pas la peine de discuter. Je ne changerai pas d’avis. Je te laisse rentrer. Si je découvre que vous avez eu le malheur de me désobéir… Je vire Axel de chez moi tu m’entends ? Ou je t’envoie en pension. Mais je ne le permettrai pas.

                -Tu vas nous interdire de nous voir aussi ?

                -Ah non, pour ça vous faites ce que vous voulez. Vous pouvez baiser sur mon plumard si ça vous chante, j’en ai rien à foutre, mais que je ne trouve jamais de marque de dents sur tes avant-bras si tu ne veux pas que je te montre à quel point je peux être cruelle. »

                Je compte sur Tiphaine pour me croire sur parole. Il me connaît depuis suffisamment longtemps pour savoir que je ne plaisante pas.

                « Axel, ça te va ?

                -Oui. »

De son côté, je ne me fais pas de soucis. En fait, ma décision l’arrange bien. Je lui glisse à l’oreille, assez bas cette fois pour que mon frère n’en perçoive  rien :

                « Ça ne te gêne pas de me saigner autant que faire se peut, mais dès qu’il s’agit de ton béguin, c’est une autre paire de manche, hein ? »

                Je sais qu’il n’en a pas conscience et que je suis mesquine. Je vais sans doute même arriver à le faire culpabiliser. Mais en même temps…

                « Tu es jalouse, hein ? »

Je fais celle qui n’a rien entendu et ouvre la porte d’entrée. Tiph’ rentre tête baissée et va s’affaler sur le clic-clac, en me tournant le dos, toujours furieux. Il s’enroule dans une couverture hideuse récupérée je ne sais-où, montant clairement qu’il boude, ce qui me fait une belle jambe. Juste avant de le rejoindre, Axel se rapproche juste assez pour me glisser furtivement avant de le rejoindre :

                « Je suis désolé. »

Bien sûr que tu es désolé. Bien sûr que je suis jalouse.

                Tiphaine est mon petit frère. Le seul petit frère que j’ai jamais eu, que je n’aurai jamais, je n’ai plus que lui désormais, et je l’aime sans doute plus que je ne le devrais. Je voudrais que nous soyons seul tous les deux dans mon appartement pour que je m’occupe de lui et je m’en veux de penser ainsi. Comme une mère trop possessive. Quand à Axel… c’est pareil. Je l’ai trouvé, moi, je l’ai sauvé, et c’est moi qui l’ai nourri tout ce temps, qui me suis ouvert les veines pour qu’il survive. C’est à moi qu’il le doit. Même la rencontre avec son amant, c’est à moi qu’il la doit. À moi seule. Et par-dessus tout… Eux sont heureux, tous les deux. Ils apprennent lentement ce que ça peut faire, d’aimer. Et moi, je me retrouve seule, comme une conne. J’aimerais qu’Axel soit aussi mon frère. Ainsi je serais le centre de leur monde et ils resteraient tous deux tournés vers moi.

                Je me trouve méprisable de penser ainsi. Malgré l’influence du mort-vivant, je suis toujours aussi égoïste. Ça me rassure et m’attriste en même temps. Pas étonnant que je ne puisse pas expliquer à Tiphaine pourquoi je reste aussi inflexible. Je ne pensais pas que les choses se dégraderaient dans notre mini tribu sans l’intervention du facteur « vampire ».

 

O

 

                « Stef’, ça va pas ? »

Elle aussi, elle a un sixième sens qui détecte les humeurs des autres. Au moins suis-je assurée, assise en plein jour sur ce banc du parc de Letna, que Mandy n’est pas un vampire. Ces derniers temps, j’ai tendance à en voir partout. Surtout la nuit.

                « Si, c’est bon. T’inquiète pas. »

Elle n’insiste pas aujourd’hui. Ce n’est pas vraiment bon signe. Mandy se tient tranquille uniquement les jours où elle sait que je suis vraiment mal. Pourtant, j’ai l’impression qu’aujourd’hui plus que jamais j’aurais besoin de son horripilant flot de parole, plus distrayant qu’un silence gêné.

                Il fait froid, naturellement, en ce début du mois de décembre. Les rues se parent peu à peu de leurs guirlandes clignotantes, les gens ont sorti les couronnes de sapins où on allumera une bougie chaque dimanche jusqu’à Noël – même nous nous en avons une – les boutiques débordent d’offres promotionnelles, Mandy a sorti l’écharpe violette que j’ai trouvée l’année dernière chez une de ses amies et que je lui ai offert, il y a un an, pour Noël. Nous nous sommes retrouvés pour boire un verre et pour aller, à sa demande, voir une énième fois l’horloge astronomique de la place de la Vieille-Ville, une des plus belles merveilles de ce monde que nous adorons, elle et moi. C’est bien une des seules choses que nous partageons – peut-être même la seule. Le ciel est gris, uniformément bouché par des nuages bas, donnant au paysage, aux arbres nus du parc un éclat irréel, et désagréable.  

                Je dors très mal, depuis quelques semaines. Je n’ai rien dit à Axel ni à Tiphaine, parce que je ne leur dit rien, mais je ne suis pas vraiment au mieux de ma forme. Le vampire a pris l’habitude de rester debout jusqu’à environ quatre ou cinq heures du matin, puisqu’il finit toujours par s’ennuyer. Il se réveille avec nous pour nous voir un peu, puis il se rendort environ jusqu’en fin d’après-midi. Je suppose que ce n’est pas très naturel pour les gens comme lui, mais il ne se nourrit pas suffisamment, je le sais. Oh il a largement de quoi se sustenter, bien sûr, mais pas assez pour qu’il puisse sauter partout comme un jeune hyperactif drogué à la caféine. Et cela est également dû au fait que, presque chaque nuit, quelques minutes seulement après s’être endormi, il se met à hurler.

                « … m’écoutes ?

                -Hein ? De quoi ?

                -Je te disais que tu n’as pas l’air en forme. Tu es malade ?

                -Non, ce n’est rien, je ne dors pas très bien… »

Et l’expression est faible. Tiphaine a naturellement un sommeil très lourd depuis son enfance, même les pleurs de sa sœur jumelle ne le réveillaient pas, quand ils dormaient encore dans le même lit à barreau. Moi par contre, j’ai tendance à peiner pour trouver le sommeil, et pour le garder. Ainsi, Tiphaine ne bouge pas d’un pouce, la nuit, quand son copain se met à geindre, se tortillant dans les draps, en proie à je ne sais quels démons intérieurs. Moi, par contre, je me réveille immanquablement. Et je passe généralement le reste de ma nuit à essayer de l’apaiser. Parfois, il se calme en quelques minutes et pour plusieurs heures. D’autre fois, il ne se tranquillise pas de la nuit, et m’empêche définitivement de profiter de la mienne. Je ne sais pas à quoi c’est dû, et il n’en a pas souvenir au réveil, ou en tout cas il ne l’a jamais mentionné. Toujours est-il que j’ai du mal à m’endormir, et je me repose, au final, très peu. Je dois tout de même aller en cours, allé travailler au vidéoclub, m’occuper un minimum de notre vie.

                « Dis, Mandy…

                -Hm ? Qu’est-ce qu’il y a ? Tu veux qu’on aille autre part ? C’est vrai qu’il commence à faire froid…

                -Mais tais-toi un peu, idiote, je ne parle pas de ça… »

Je me surprends autant que je la prends de cours. Je pense que je ne l’ai jamais envoyé paître avec aussi peu d’énergie. Avec autant de lassitude. Je suis tellement fatiguée…

                « Mandy… est-ce que tu serais triste… si je mourrais ? »

Le temps semble suspendu – pour une fois que ce n’est pas l’apanage d’Axel – et pour la première fois, elle n’a rien à dire. Je ne sais pas trop ce qui m’a pris. J’ai eu le sentiment que si je voulais lui demander, c’était maintenant.

                « Est-ce que je… te manquerais ? »

J’ai vraiment envie de dormir. Juste quelques minutes.

                « Bien sûr. Bien sûr que tu me manquerais. Et je serais triste. Vraiment. Alors tu ne pars pas hein Stef’ ? Tu restes avec moi ? Tu sais que je ne peux pas me débrouiller toute seule… Stef’ ? 

                -C’est rien, c’est rien, il faut juste que je dorme un peu. »

Je n’ai pas résisté à l’envie de m’allonger sur ses genoux. Le contact de sa jupe au tissu soyeux sur ma joue m’arrache un sourire contenté. Merde, si je m’endors comme ça, elle va piquer une crise et m’envoyer aux urgences. Elle est trop cruche pour réagir calmement.

                « Juste quelques minutes… »

Je sombre.

 

O

               

                Les hôpitaux sont honnis par un bon nombre de gens. Je n’avais jusqu’à aujourd’hui connu que l’hôpital psychiatrique, celui où ma mère était régulièrement admise, au cours des derniers mois de sa vie. Du coup, l’hôpital standard ne me semble pas si terrible. J’aurais tout de même préféré ne pas me retrouver dans ces enchaînements de couloirs impersonnels, imprégné par l’odeur caractéristique des environnements aseptisés.

                « Mais puisque je vous dis que je vais bien !

                -Mademoiselle, vous êtes fortement anémiée. Vous devriez vraiment rester en observation, au moins pour cette nuit.

                -Merci, mais ce ne sera pas nécessaire. Vous m’avez transfusée, non ? Alors je peux y aller.

                -Oui, mais sans en connaître la cause, vous risquez de…

                -C’est bon. Je la connais, la cause. »

Je passe devant le médecin grisonnant à cours de mot dont la bouche ouverte et l’expression ahurie n’a plus rien de sérieux, j’enfile mon blouson doublé, et je quitte précipitamment l’hôpital. Mon portable vibre dans ma poche.

                « Allô, Stef’ ? Comment ça va ? Tu es sortie ?

                -Toi, je te retiens, avec tes idées à la con ! »

Je suis hors de moi. Mais qui a l’idée d’emmener une amie à l’hosto parce qu’elle s’est endormie sur un banc ? Mandy, bien sûr. Je m’énerve contre l’appareil, peu soucieuse des regards scrutateurs des passants croisant ma route.

                « Tu as une idée de combien va me coûter ta connerie ?

                -Laisse tomber. C’est pour ma mère. »

Là, j’avoue qu’elle me laisse sans voix. Je m’arrête au milieu du trottoir tellement je suis surprise. Son ton est incroyablement ferme.

                « Comment ça ?

                -Je préfèrerais qu’on parle… d’autre chose. Tu vas bien ? Les médecins ont dit que…

                -T’occupe de ce que les médecins ont dit. Je vais bien, ne t’inquiète pas. Merci de ton attention, Mandy, mais je vais me débrouiller. Salut.

                -Attends, Stef’ ! »

Trop tard. Je range mon cellulaire avec une pointe de culpabilité qui disparait bien vite au profit de l’exaspération. Il fait déjà nuit, et il fait vraiment froid. Heureusement que je n’habite pas très loin du centre hospitalier. Mon portable vibre à nouveau. Je décroche avec humeur.

                « Quoi ?

                -Stef’, c’est moi ! Tu es où, ça va ?

                -Ça va Tiph’, respire. J’ai eu deux-trois trucs à régler, je rentre là.

                -Je me suis inquiété.

                -Il fallait pas. Je raccroche. À toute à l’heure !

                -Ouais. Bisous. »

Quand est-ce qu’il s’est inquiété ? Entre deux roulages de pelle ? Entre deux pipes ? Et merde. Je suis ridicule.

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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 14:48

 

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God, Ahermin (DA)

 

 

  Chapitre 7

 

 

                « Bon tu vas faire la gueule encore longtemps ? C’est bon, il a dit qu’il s’en foutait ! C’est quand même pas ma faute à moi si il finissait plus tôt aujourd’hui, si ? »

                Sale gamin, petit con d’adolescent stupide et borné ! Cela fait plusieurs minutes que j’essaie en vain de sortir de son mutisme encombrant un putain de vampire visiblement peu disposé à écouter ce que j’ai à lui dire. Le truc c’est que j’aimerais bien prendre ma douche, moi. Je me retiens de défoncer cette porte de salle de bain, tournant comme un lion en cage devant ce panneau de bois qui reste obstinément fermé. Je vais faire un massacre.

                « Axel, sors de cette salle de bain.

                -Tu pourrais au moins faire semblant d’être désolée !

                -Mais de quoi ? C’est bon, tu n’as pas perdu tes prérogatives, il est toujours complètement sous ton charme, alors sors de cette salle de bain espèce de petit con !

                -Stef’ ! »

Ça y est, le frère s’y met maintenant. Ils sont tous contre moi aujourd’hui ! Je fais volte-face pour le foudroyer du regard.

                « Quoi, c’est pas vrai peut-être ? »

Il rougit furieusement, opère un repli stratégique dans un coin aussi éloigné de moi que possible – c'est-à-dire à peine trois mètres, pour aller bouder avec toute la maturité dont il est capable. Bien sûr qu’il craque complètement, vampire ou pas, sur mon colocataire. Qu’il essaie seulement de me soutenir le contraire.

                « Alors tais-toi ! Et puis d’abord c’est de ta faute, t’avais qu’à pas rentrer si tôt !

                -Non mais ça va bien ouais ! Et tu comptais me le cacher encore combien de temps ?

                -Jusqu’à ta mort si possible ! AXEL ! SORS DE CETTE SALLE DE BAIN !! 

                -C’est pas en gueulant plus fort que tout le monde que t’obtiendra ce que tu veux !

                -JE SUIS CHEZ MOI ICI ET JE GUEULE SI JE VEUX !!! »

Au bord de l’explosion, j’empoigne avec empressement mon blouson en cuir et claque la porte aussi fort que je le peux. J’entends un truc ou deux s’écraser au sol dans l’appartement – ils ont intérêt  à avoir nettoyé à mon retour. Je sors fumer sous le perron, pour me calmer. Je ne fume pas souvent, mais ça me prend en général très soudainement, comme ça, comme la fois où je contemplais Axel affalé dans la ruelle. Là, c’est surtout parce que je suis énervée. La cigarette n’a pas vraiment bon goût et pas précisément d’effet sur mes nerfs, mais c’est une manie qui me vient de temps en temps, beaucoup plus facilement quand j’ai bu d’ailleurs, mais passons.

                Tiphaine s’est trouvé un petit boulot quelques rues plus loin, il fait le ménage à l’épicerie tenue par le Polonais, que je n’ai jamais appelé autrement et qui n’a pas l’air de vouloir que ça change. Le jeudi soir, il rentre en général vers minuit, ce qui nous permet de nous occuper rapidement de la nourriture du vampire. Et puis ce soir, pour on ne sait quelle raison sans doute pas valable, il est rentré une heure trop tôt, et il est tombé pile pendant la partie critique de l’opération, à savoir Axel, mon poignet à la bouche, le sang dégoulinant de son menton et les yeux brillants d’un plaisir mal contenu, et moi serrant les dents, grimaçant de souffrance.

                Ça a été un sacré bordel. Tiphaine, je ne sais pas trop ce qu’il a cru, mais il a sauté sur Axel pour l’éloigner des giclées d’hémoglobine qui tâchaient (encore) les draps. Sauf que comme il avait planté ses dents bien comme il faut dans ma chair, il m’a arraché une bonne partie de la peau. J’ai hurlé, ce qui n’a pas spécialement amélioré la situation, et encore moins quand je lui ai lâché un « t’inquiète pas, c’est un vampire » qui n’a pas vraiment eu l’effet escompté. Et donc Axel a fui la colère de mon petit frère et mon propres accès d’hystérie provoquée par la douleur en s’enfermant dans la salle de bain, et j’ai dû expliquer pendant une heure à Tiph’ ce qu’il en était, mais il n’a pas voulu s’excuser, étant au moins aussi orgueilleux et borné que moi. J’avais mal, j’ai galéré pour faire cesser les effusions de sang, et donc, après m’être énervée un bon coup, et je me retrouve dehors  pour essayer de me calmer. Je suis assise contre la façade de l’immeuble, le nez levé vers les étoiles à peine visible, mon bras meurtri replié contre moi, en regardant s’évanouir les volutes de fumées blanches de mon tube de nicotine qui se consume lentement. Il fait froid.

                « Salut, Stef’ !

                -Lukas… »

Et voilà le seul garçon de moins de trente ans qui ne soit ni un vampire ni mon frère et qui n’aie pas peur de m’adresser la parole. Lukas, le fils du concierge de l’immeuble, a tout juste 18 ans, et il bosse au garage de voiture de son père depuis qu’il a fini le secondaire. Sa spécialité, c’est de retaper des vieilles caisses avec des pièces d’occasion pour les revendre aux autres garages, plus légaux mais donc moins libre de leurs mouvements. C’est un éternel optimiste, qui ne se démonte jamais. Le genre à attirer naturellement la sympathie, la confiance des gens, le genre à qui l’on a envie de parler quand on le croise dans la rue, qui sourit un peu à tout le monde en général et à personne en particulier. Le genre qui m’insupporte en somme, et qui m’est, de toute façon, totalement inaccessible, comme évoluant dans un autre monde. Je ne sais pourquoi celui-là a décidé de s’intéresser à moi, mais en tout cas, il trouve toujours une occasion pour m’aborder en souriant, voir pour me draguer discrètement. Il a peur de rien, celui-là. Enfin, je ferais preuve d’une horrible mauvaise foi – et c’est ce que je fais – en disant qu’il me laisse complètement indifférente.

                « Ça n’a pas l’air d’aller très fort. Je peux faire quelque chose pour t’aider ?

                -Commence par la boucler Lukas. J’essaie de me calmer les nerfs.

                -Problème de colocation ? »

Je me tourne vers lui, surprise qu’il évoque mes deux résidents, ce qui n’a en fait rien d’étonnant. Depuis que Tiphaine s’est installé sur mon matelas, Axel s’est soudainement montré beaucoup plus intéressé par les sorties, d’autant que la nuit se couche tôt, en novembre. Sa nouvelle lubie, c’est de suivre mon frère un peu partout dès que le jour est couché : aux courses, au boulot, au parc où ils passent leur soirée à faire on ne sait trop quoi… J’impose tout de même un couvre-feu à Tiphaine pour la forme, parce qu’il va en cours, mais sinon, je ne fais pas spécialement attention à leurs allées et venues – moi-même entre la fac et le vidéoclub, je suis souvent sortie. L’avantage, c’est qu’Axel met le nez dehors, maintenant. Il m’a même accompagnée deux ou trois fois à la boxe.

                « Je t’espionne pas hein, s’empresse d’ajouter Lukas sur un ton d’excuse. C’est juste que je les voie régulièrement rentrer et sortir alors… 

                -Ils sont idiots. Et comme si cela ne suffisait pas, ils se courent après sans oser se lancer. Ça me gonfle. »

Il me surprend encore en éclatant d’un rire léger qui résonne dans la nuit glaciale. Deux fossettes se forment sur son visage carré quand il rit, je n’avais jamais remarqué. Je lui en parle aussi ouvertement parce que Lukas est le fils de Samuel, et qu’il est donc par définition plus tolérant et ouvert d’esprit que la plupart des gens qui peuplent cette planète.

                « Les premiers émois hein ? Pas étonnant qu’ils rament ! Laisse-leur le temps… Quoi ?

                -Tu es beaucoup plus mature que tu en as l’air.            

                -Je vais considérer que c’est un compliment ! »

Il rit de nouveau, et je me prends à rire un peu, moi aussi, même si je ne vois pas vraiment ce qu’il y a d’amusant.        « Finalement, j’ai réussi à t’aider !

                -Ah oui ?

                -Tu n’es plus aussi remontée. »

Comment rester en colère en face de cette tête aussi ? Lukas est brun, les cheveux en bataille, la barbe à peine visible et la barbiche sur le menton, les yeux noirs et sans fond, la peau très bronzée. En bref, le pur physique méditerranéen en plein cœur de Prague, légèrement démenti par ses lunettes rectangles à monture épaisse, qui lui confère un petit charme décalé, surtout quand il sourit. Il fait vraiment plus vieux que son âge – plus vieux que moi-même.

                « Il faut croire que tu as un effet bénéfique sur mon humeur. 

                -De rien, c’est gratuit ! »

Sa façon de sourire n’a vraiment rien à voir avec celle de Mandy. C’est vrai, il me remonte le moral, même si les gens aussi rayonnants m’exaspèrent à la longue. Je me relève, secouant un peu mes jambes engourdies par le froid qui commence à me faire claquer des dents, frictionnant mes deux mains l’une contre l’autre.

                « Bon aller j’y retourne, il fait vraiment trop froid, et j’ai peur qu’ils fassent une bêtise.

                -Si vous pouviez éviter de mettre le feu à l’immeuble…

                -Je vais y penser.

                -Alors bonne nuit ! »

D’aussi loin que je me souvienne, Lukas a toujours terminé nos entrevues ainsi : « Bonne nuit », « Bonne journée », « Bonne chance », « Bon courage ». Toujours avec ce large sourire, ses yeux pétillants derrière ses verres de contact, et toujours imperméable à mon absence de réponse. Je ne lui ai jamais répondu. Jamais. Il avait, en quelque sorte, toujours le dernier mot de nos rencontres.

                « Merci. À toi aussi. »

Et comme souvent quand je me trouve dans une situation embarrassante, dont je ne préfère pas connaître l’issue, je tourne les talons avec précipitation ; en d’autre terme, je m’enfuis.

                « À bientôt ! »

Quel con, franchement…

 

O

 

                C’est dans de bien meilleures dispositions que je remonte au quatrième, amusée par ma petite discussion avec Lukas. J’ai sans doute réagi un peu brusquement face aux deux idiots. On va discuter calmement, si il le faut je forcerai tranquillement la porte de la salle de bain, sans brusquerie. Heureusement que mes clés étaient restées dans mon blouson, ça aurait un peu cassé le pardon que je vais daigner leur accorder si j’avais dû faire le pied de grue devant la porte en attendant qu’ils viennent m’ouvrir.

                C’est donc totalement en paix que je rentre dans l’appartement.

                Où il y a toujours du sang par terre et sur le mur du fond, où les débris de ce que j’ai fait tomber en sortant – deux verres vides de l’étagère du haut – sont toujours éparpillés sur le sol et où il y a … Axel et Tiphaine qui se dévorent la bouche au milieu de la pièce.

                « Je-vais-vous-BUTER… »

Ils se séparent précipitamment tandis que mon frère tente un maigre « attends, je vais t’expliquer ».

                « Vous croyez que c’est le moment de vous rouler des PELLES ? BANDE DE CRETIN !!! »

Si je ne ressors pas immédiatement, je vais faire un massacre. Comment OSENT-ILS expérimenter leur amourette de jeune cons dans MA piaule que je viens de quitter en hurlant, et ce sans daigner s’excuser, ranger, m’attendre avec des crêpes, ramper à mes pieds en me suppliant de les pardonner ? Je vais les tuer, je vais les tuer tous les deux.

                « Y’A INTERET A CE QUE CE SOIT NICKEL QUAND JE REVIENS ! »

Et je re-claque la porte comme une furie – de nouveaux objets finissent leur vie en morceau sur le parquet – pour aller m’en re-griller une, en espérant que je sois calmée avant d’avoir fini le paquet. Et en plus ils essaient de me tuer avec mes propres clopes…

                « Ça s’est pas arrangé, finalement ? »

Je sursaute en voyant Lukas débarquer à notre étage. Je ne l’avais absolument pas entendu monter, le son de ses pas probablement couvert par mes hurlements enragés.

                « J’abandonne, ce sont des cas désespérés. 

                -Oh, à ce point-là ?

                -T’as pas idée… »

À nouveau ma tension redescend. Il est très fort ce mec-là. Un silence confortable, ni tendu ni pesant, s’installe brièvement, avant d’être brisé par ma porte d’entrée qui s’ouvre brusquement.

                « …tends, je vais la cher… »

Axel s’interromps en me voyant planter sur le palier.

                « C’est bon, je suis là.

                -Stef’, écoute, je voulais te dire… »

Il se tait de nouveau, ayant visiblement remarqué l’autre jeune homme toujours debout en haut des marches. Je vois le vampire marqué un temps d’arrêt, hésiter à parler. Il est en train de se passer quelque chose mais je serais bien incapable de dire quoi. L’instant s’étire, s’éternise, devient presque palpable. Et puis Lukas met fin à la scène en déclarant :

                « Bon, je dois redescendre moi, alors bonne nuit à tous ! »

Encore une fois, il a le dernier mot : je suis trop préoccupée par la réaction d’Axel pour lui répondre. Il est sur le point de me dire quelque chose, mais se ravise.

                « Dis, tu le connais ? »

Il ne semble pas savoir quoi répondre.

                « Non, mais… enfin… »

C’est le moment que choisit Tiphaine pour débarquer, n’ayant absolument rien suivit de la scène.

                « Ah, tiens, t’es là… Bon bah rentrez, on va pas faire salon de thé dans le couloir. »

Axel le suit sans croiser mon regard, les yeux obstinément baissés. Je doute de pouvoir un jour le faire parler de ce qui vient de se produire. Je sais que c’est idiot et égoïste, mais je ne le souhaite pas. Ses connaissances sont fatalement des vampires, comme lui, n’est-ce pas ? Ou un truc du genre. Et s’il les retrouve… s’il se souvient… Ne risque-t-il pas de partir, tout simplement ? Ou de nous tuer, mon frère et moi ? Je sais bien qu’on en a déjà parlé, avec Ax, et que je ne peux pas répondre à ces questions, mais ça ne me concerne plus seulement moi. Tiph’ est mon seul et unique petit frère, celui sur qui je porte tous mon amour maintenant qu’il ne reste plus que nous deux, et je ne veux pas qu’il souffre de mes faiblesses. Notre histoire a beau être horriblement cliché, nous ne sommes pas dans un film. Tout ne se finira pas nécessairement bien.

                « Au fait, j’étais censée être très remontée contre vous, vous vous souvenez ? »

Les deux garçons se raidissent brusquement. Ce n’est pas le moment de s’inquiéter pour rien. En attendant, je vais leur en faire baver. Le reste attendra.

 

O

 

                Je vais à la boxe deux fois par semaine, en moto. Il se trouve que ce soir, ma moto était en panne, à cause de mon idiot de frère qui a essayé de jouer avec des engins trop agressifs pour lui. Résultat, j’ai dû la laisser au bon soin de Lukas et me taper le trajet en métro, et l’arrêt n’est vraiment pas à côté de la salle. D’ordinaire, marcher ne me dérange pas plus que ça. Sauf que là…

                Je suis sortie  un peu tard parce que j’aime bien traîner sur le ring avec les autres, dont je ne connais aucun prénom et qui pourtant me réservent toujours un casier aux vestiaires. Du coup, il faisait nuit noire quand j’ai repris le chemin du métro. Je pressais le pas en serrant ma veste un peu trop fine pour la saison contre moi, de un nuage de fumée blanche s’échappant avec irrégularité de ma bouche.

                Pour m’être battue une fois un peu sérieusement avec Axel, je sais que question force, je ne fais pas le poids contre un vampire. Alors contre trois… J’ai compris dès la première droite que ce n’était certainement pas des mecs ordinaires.

                Ils m’ont chopé juste avant que je sorte sur l’artère éclairée où se trouve la station, dans un petit coin bien sombre et bien désert. Dans un sens, j’ai eu du bol, parce qu’il est clair qu’ils n’avaient pas l’intention de me tuer, ni même de me blesser sérieusement, parce qu’ils y seraient arrivé sans peine si ils l’avaient voulu. Mais ils souhaitaient juste que je le sente passer. Et effectivement, je l’ai bien senti passer. A cet instant, j’aurais pu être aussi faible que Mandy ou être Mike Tyson, ça n’aurait strictement rien changé, et être capable d’étaler sur le ring des types de vingt kilos de plus que moi ne m’a certainement pas empêcher de me prendre la dérouillée de ma vie. Je me suis retrouvé couché sur le sol, sans rien pouvoir faire d’autre que protéger tant bien que mal mon visage avec mes mains, la douleur irradiant chaque partie de mon corps meurtri.

                Le quatrième connard, celui qui avait un long manteau noir et qui se prenait pour le roi du pétrole, est le seul qui a ouvert la bouche. Il aurait pu avoir la classe s’il ne commandait les types en train de me refaire le portrait et s’il n’avait pas été sans cesse en train de secouer la tête comme un guignol pour essayer de dégager ses cheveux trop long de son visage. C’est dingue comme je peux m’attarder sur des détails sans intérêt. Enfin, c’est encore un des moyens les plus efficaces pour oublier la douleur.

                « Dis à Johan que le châtiment en ai déjà à la moitié. Il n’aura pas intérêt à traîner pour rentrer. Il a de la chance qu’on ne fasse pas cramer ton immeuble, ma belle, sa casse-couilles de femme nous l’a interdit. Aller, on se casse. »

                Et ces enfoirés m’ont laissée là, la lèvre fendue, le nez en sang et de bons gros hématomes en formation sur mes flancs, dans cette rue obscure qui puait l’urine. Quand j’étais gamine, ce genre de chose arrivait tous le temps. Mais en général j’étais du côté de ceux qui tiennent debout à la fin, moi. En plus, qu’est-ce qu’il voulait que je comprenne à son charabia, ce gros crétin ? Je me suis traînée tant bien que mal jusqu’à la station. Les autres voyageurs m’ont regardés comme si un troisième œil m’avait poussé au milieu du front mais j’ai préféré faire comme si de rien était, essayant plutôt de me concentrer pour gérer la douleur et éviter de tourner de l’œil. Je ne savais pas quoi faire, en tout cas, je ne pouvais pas aller à l’hôpital, trop cher, trop curieux, et encore moins rentrer dans cet état.

                « Tu as de la chance que Samuel ne soit pas là. Il aide au refuge des sans-abris ce soir… »

C’est ainsi que j’ai échoué sans trop savoir comment chez Lukas, qui essaie de me rendre présentable à grand renfort de compresse et de désinfectant depuis une demi-heure. Histoire d’être crédible quand je dirai à mes deux squatteurs que j’ai juste mis un peu plus d’ardeur à l’entrainement que d’habitude.

                « Je sais pas ce que j’aurais fait sans toi. Je me voyais mal débarqué chez Mandy avec cette gueule-là.

                -Mandy… la petite blonde qui vient de temps en temps ? Elle a l’air plutôt sympa pourtant.

                -Trop sympa. Elle aurait hurlé avant d’appeler la police, les pompiers et les urgences dans la seconde suivante. Elle réagit mal au stress.

                -Alors que moi…

                -Toi, t’es zen. Tu contrôles. Je me suis dit que tu pourrais m’aider.

                -À ton service ! »

Je n’ose lui parler d’Axel et de l’autre jour. Encore une fois, je préfère lâchement ne pas savoir. De toute façon, d’après l’enfoiré en manteau noir, je serai vite fixée. Je ne veux pas y penser, je ne veux pas savoir, je veux me voiler tranquillement la face, parfaitement en paix avec mon ignorance délibérée.

                « Bon, je vais y aller. Merci pour ton aide, vraiment.

                -De rien. Et au fait, Stef’… »

Et là, c’est le retour des clichés en force. Il me choppe par le bras avant que je ne passe la porte, et il m’embrasse. Furtivement, à peine un contact. Je rougis instantanément, les yeux écarquillés, pas très sûr de ce qui vient de se produire. La colère se dispute à la honte, y’en a qui ont fini le nez cassé pour moins que ça…

                « Bonne nuit ! » lance-t-il, tout sourire.

J’hésite à lui casser la gueule. Pour qui il se prend ? Je déteste ça, je déteste. Mais j’ai mal, je veux rentrer chez moi, et il m’a aidé, et… je ne sais pas, c’est lui, ce type tellement rayonnant que ça en devient insupportable, et je ne peux rien contre lui. Alors à la place, je balbutie une réponse incompréhensible, et je m’enfuis, partagée entre la fureur, la gêne, et bien enfouit quelque part, le plaisir. Petit con…

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