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27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 00:56

Je rentre du cinéma, je viens d'aller voir Black Swan, et il m'a trop retourné pour que je puisse espérer dormir maintenant... Alors je poste ^^

 

Bonne lecture ! 

 

sad friday by zenibyfajnie-d32qpj7

 

Sad Friday, by Zenibyfajnie (DA)


  Chapitre 13

 

 

La clé de mon succès, ce sont les immenses fenêtres à croisillons qui s’ouvrent sur le parc.

                Axel – Johann – et moi nous dévisageons en silence au milieu d’une foule d’inconnus au regard narquois. Il est à l’autre bout de la pièce mais pourtant j’ai l’impression que nous sommes seuls, et qu’il est juste là, juste à portée de main, de poing. Une femme très jolie est pendu à son bras, « sa casse-couilles de femme », je suppose.

                L’autre clé de ma réussite, ce sont les sentiments d’Axel.

                Je sais qu’il a aimé mon frère, sincèrement et profondément, pour la courte période où ils ont vécu ensemble. Il me semble difficilement concevable que ses sentiments aient pu disparaitre aussi rapidement que sa mémoire lui était rendue ; en tout cas, je ne veux pas que cela soit ainsi. Car ça signifiera l’échec. Alors je cherche dans son regard les traces de notre lien, de notre amour, celui, fraternel, que j’ai nourri à son égard, et celui qu’il a voué à Tiphaine. Tout repose là-dessus.

                « Voilà une nouvelle petite sœur pour mes chéries, susurre la femme rousse, glaciale et sans joie, avec son sourire sadique. Sarajevo ! Va chercher tes frères, je veux qu’ils soient présents. »

Une jeune femme, une photo en noir et blanc de quelques années ma cadette, ou du moins en apparence, aux longs cheveux noirs et lisses et d’une beauté sombre et dérangeante, se détache de la foule et s’éclipse par une porte latérale, non sans m’avoir jeté un regard appuyé, brûlant de curiosité et de sentiments impossibles à interpréter. Ils sont visiblement enthousiasmés par ma naissance, celle d’un des leurs.

                « Comment l’appellerons-nous ? Berlin, ce n’est pas très élégant.

                -C’est à Prague qu’elle a été mordu, c’est là-bas, littéralement, qu’elle est « née ».

                -Je suis née à Prague. »

Ils se tournent d’un même mouvement vers moi, ne s’attendant pas à ce que j’intervienne dans la conversation.

                « Et bien parfait ! Prague sera ton nom, tu t’appelleras ainsi !»

La rousse bat des mains, dans un état d’excitation d’une puérilité totale, mais je ne dis rien. Lukas m’avait également prévenu : « Tu recevras un nouveau nom. –Pourquoi ? –Parce qu’à ton réveil, tu auras tout oublié. »

                Ils se renomment donc en fonction de l’endroit où on les a trouvés ? Johannesburg, Sarajevo… Et pour ceux qui naissent à Francfort ou Pardubice ? C’est à chier, franchement.

                La jeune fille aux cheveux noirs, le visage pâle toujours dénué de toute expression, est de retour dans la salle de réception, accompagnée de deux hommes radicalement dissemblables : une armoire à glace en marcel, au crâne rasé, et une petite frappe tatouée et percée plusieurs fois au visage et sans doute ailleurs. Ils n’ont pas spécialement l’air ravi de se trouver là.

                « Maman, qu’est-ce que c’est que ces nouvelles conneries ? Encore une sœur ? Tu n’as donc pas assez d’enfants comme ça ?

                -La ferme Detroit » réplique vivement la femme rousse.

Celui-là vient des Etats-Unis donc. C’est intéressant comme tradition. Intéressant dans le genre craignos. En tout cas, il est clairement impossible que ces-deux-là soient réellement mère et fils : leur apparence leur donne maximum dix ans d’écart.

                « Ne parle pas à ta mère sur ce ton. Et ce n’est pas elle qui a mordu celle-là. C’est Johann. »

Cette fois, c’est l’autre homme, qui parait même plus vieux que celle qu’ils appellent maman, qui prend la parole, mécontent.

                « Alors elle ne fait pas partie de la famille. C’est l’enfant de Jo, pas le tiens.

                -Je m’en moque ! Je VEUX qu’elle soit votre sœur ! C’est moi qui décide !

                -Maman, sérieusement…

                -CARTHAGE ! TAIS-TOI ! »

« Maman » est folle de rage. D’ailleurs, les autres convives se sont progressivement reculés au fur et à mesure que le ton montait : ils sont à présent agglutinés dans le fond de la salle, faisant mine de continuer distraitement leur conversation, des trouillards quoi. Ce n’est pas ça l’important. Carthage ? Quel âge a-t-il dans ce cas ? Et eux, la « maman » et son mari, depuis quand peuvent-ils bien vivre ? Ça ne me tente pas du tout de vivre des siècles. Je m’étais toujours imaginé que je vivrais une petite vie merdique et solitaire avant de me suicider en avalant une bouteille d’eau de javel. Qu’est-ce que je vais faire de tout ce temps à ne rien faire ?

                Avec tout ça, je commence sérieusement à avoir mal aux bras, contorsionnés dans mon dos, et plus généralement dans tout mon corps. Je dois me dépêcher.

                « Maman, nous règlerons cela plus tard. Notre jeune sœur risque de ne jamais voir le jour si nous continuons nos pérégrinations. »

                Le ton velouté, d’une sensualité prodigieuse, de l’adolescente nommé Sarajevo, apaise instantanément les foudres de sa mère, qui redevient une femme distinguée, laissant de côté son caprice d’enfant gâté.

                « Sarajevo, ma chérie, je me demande pourquoi c’est toi la plus intelligente alors que tu es la plus jeune de mes enfants.

                -Sans doute parce que c’est la seule qui n’ai pas un prénom à coucher dehors… » Marmonne le jeune homme nommé Detroit.

La tension manque d’exploser dans les veines de la magnifique créature rousse au bord de la rupture, mais ce sont mes nerfs qui lâchent avant : je me croirais revenue au temps où j’habitais Berlin avec ma famille, où ma mère piquait des crises de colère incontrôlées et injustifiées, où nous nous plaignions de nos patronymes embarrassants. Tout cela est juste… parfaitement absurde. J’explose de rire.

                Il résonne dans le silence qui s’est de nouveau abattu sur l’assistance bouche bée, un son grave et irrégulier qui me semble curieusement mélodieux dans cette pièce et cette atmosphère glauque. Je n’en peux plus de me tordre en deux, le souffle coupé par un rire nerveux totalement impromptu. Je ne pense pas qu’ils apprécieraient que j’avoue les trouver ridicules, bien qu’ils ne demandent qu’à connaitre la raison de mon hilarité

                « Je ne veux pas de cette cinglée comme sœur.

                -Tu feras ce qu’on te dira de faire, Detroit » rétorque son « père », cinglant.

En moins d’une seconde, les piercings du jeune homme scintillent juste sous mes yeux. Il me jauge avec réprobation.

                « Je me demande ce que Johann a bien pu lui trouver. »

Je cesse de rire immédiatement, ce qui semblait être l’effet recherché, vu son sourire satisfait. Johan-Axel ne m’a rien trouvé du tout. Celle qui l’a « trouvé », c’est moi. Je suis encore suffisamment libre de mes mouvements pour pouvoir lui asséner un coup de pied, coup qui, sans grand effet et parfaitement idiot, attise néanmoins sa colère.

                « Espèce de… »

Son poing est retenu sans que je ne comprenne ce qu’il se passe par Axel, arrivé là comme par magie. Il ne me regarde toujours pas.

                « Laisse donc. Ce n’est qu’un réservoir de nourriture. Si ça se trouve, elle ne survivra même pas. »

Il me jauge brièvement, avec une indifférence parfaitement maîtrisée. Ses yeux ne disent rien, ils ne me parlent pas, et je pourrais presque avoir peur de cet étranger qui ressemble à s’y méprendre à une personne que j’aime énormément et qui devise sans remords de ma mort prochaine. Il se rapproche de moi. Proche. Trop proche. J’écrase durement mon front contre son nez, le seul geste que je peux encore faire avec les chaînes qui entravent mes poignets. Exactement les mêmes que lors de ma première rencontre avec Axel, ces chaines, le même métal froid et brillant, la même douceur cruelle sur mes articulations meurtries. Ou du moins, c’est l’impression que j’ai, l’impression qu’elles me donnent, comme miroir de mes propres erreurs. La peau fragilisée de mes poignets, à cause des dents d’Axel qui aimait tellement cet endroit, finit par céder. Le sang commence à s’écouler très lentement sur mes doigts et je sens l’atmosphère se modifier sensiblement. Tout à coup, ils ont l’air de me trouver beaucoup plus digne d’intérêt, tous. Ah, je les déteste. Tous. 

                « Espèce de petit bâtard, à qui crois-tu parler ? »

J’ai l’impression cette fois-ci de me retrouver le jour où il m’a mordu pour la première fois. La haine me prend à la gorge, mon front m’élance douloureusement, ils font tous une tête d’ahuri.

                « Je suis celle qui t’a bordé pendant cinq mois parce que tu faisais des cauchemars chaque nuit, qui t’a nourri, et qui t’a offert l’asile. Et je suis la grande sœur de celui avec qui tu as expérimenté tes amourettes baveuses d’adolescent. Je t’ai sorti de cette putain de ruelle, Ax. Alors je t’emmerde ! »

                Je finis par cracher à ses pieds, totalement inconsciente de l’endroit où je me trouve et en quelle compagnie. Comme on s’en doute, l’autre frère, Detroit, me décoche une gifle phénoménale qui manque de m’arracher la tête, mais personne ne dit un mot, jusqu’à ce que l’homme aux cheveux gris reprenne la parole :

                « Alors, jeune fille, dites-nous, qui avez-vous bien pu saigner pour être aussi hargneuse ? »

                Je me raidis. Nous voilà arrivés à un sujet délicat. Je me demande comment réagira Axel, s’il réagira seulement. Peut-être me suis-je trompée après tout, peut-être que cela ne lui fera rien. Peut-être qu’il haussera les épaules avec ce même mépris cynique qui pourrait concurrencer le mien et que je vois afficher sur ses traits en ce moment. Non, non, ça ne peut pas, ça ne DOIT PAS se passer ainsi. Parce que s’il ne part pas… J’ai un doute, tout à coup. Cette femme qui le couve de regard, est-ce qu’elle compte plus que mon jeune frère ? Est-ce que j’arriverai à le rendre heureux, au moins une fois ?

                « J’ai décimé les habitants de mon immeuble. Un vrai carnage. »

J’écarquille les yeux de surprise. Je n’ai pas dit un mot. La jeune Sara me fixe de ses yeux vides tout en formulant les pensées qui ont tout juste le temps de se former dans mon esprit.

                « Je les ai tous tués. Tous, l’un après les autres. La pouffe, l’employé de bureau, les junkies, le rasta-man, le communiste, le connard, tous, et j’ai mis du sang partout. Ça a duré toute la nuit. »

                Les images et les sons m’assaillent avec une rare violence. Je revois cette scène qui me poursuit depuis la veille, quand j’ai finalement cédé à la soif qui me dévorait. Un décor digne des meilleurs films gores : la peinture rouge qui éclabousse les murs, les corps froids et livides, rendus rigides par la peur et la mort, le silence qui a suivi, avant que je ne m’enfuie à Berlin pour tenter de réparer ce désastre.

                « Mais ça ne suffisait pas, ça ne suffisait toujours pas. Alors je suis retournée dans notre appartement. »

Que puis-je faire pour qu’elle se taise ? Je me débats en vain des poignes de fer de mes gardiens, rendue folle par sa voix sans timbre qui évoque mon crime, mes horreurs. Les larmes se mettent à déborder de mes yeux, la frustration de l’impuissance m’enserre la gorge, mais je ne peux rien faire pour que sa voix s’arrête.

                « J’ai même tué mon propre frère. »

Alors le temps s’arrête. Je lui hurle de se taire, de toutes mes forces, je hurle à m’en briser les cordes vocales juste avant qu’en un éclair, Ax se soit jeté sur moi. Quand l’assistance retrouve ses esprits, nous avons roulé à l’autre bout de la pièce, et il me fait mal. Il me fait vraiment mal. Le sang coule de mes lèvres et de je ne sais trop où sur mon visage. Je tire comme une forcenée sur mes menottes, me coupe la peau, me déboite un poignet pour retrouver ma liberté de mouvement. La douleur est secondaire.

                La fenêtre.

                Mon espoir est là, juste derrière, juste en bas.

                Je me mets à courir. Courir pour sauver ma vie, pour que mon espoir survive. Courir et traverser cette pièce qui n’est pourtant pas si longue. Cette fenêtre me semble pourtant tellement loin, impossible à atteindre. Si je passe, si j’évite tous ces connards et qu’Axel ne me rattrape pas, si j’arrive à passer cette fenêtre, j’aurais gagné.

                Les quatre secondes les plus longues de mon existence.

                Éviter les bras, les mains qui se tendent, toute cette masse en mouvement qui converge sur ma route pour me bloquer le chemin.

                Je n’ai jamais autant ressenti mon propre corps, les muscles qui se tendent, les poumons brûlant, le sang qui bat à mes tempes tandis que je m’élance, plus rapidement bien sûr que je ne l’ai jamais fait, que je n’aurais pu le faire il y a quelques jours. Et cela au prix de quelques vies humaines qui ne m’importaient pas vraiment mais que je n’avais pas  pour autant le droit de supprimer. Et Tiphaine…

                L’impact me martyrise, quand je traverse finalement les croix de bois d’une des hautes fenêtres, et que le verre se brise en mille morceaux autour de moi. Je ne suis peut-être pas encore des leurs, mais la force et la résistance que j’ai acquise suffiront à m’épargner de la mort pour cette fois. À condition que je cours suffisamment vite pour avoir le temps de parler à Axel. Et que les dizaines d’autres vampires ne se décident pas à se lancer, eux aussi, à ma poursuite.

                J’ai vraiment trop parié sur la chance. James Bond peut faire ça. Harry Potter, Aragorn, les Totally Spies, eux ils peuvent le faire. Même cette gourdasse de Bella peut aussi, j’en suis sûr. Mais pas moi. Moi, je suis une héroïne ratée.

Le sol, plus dur que ce à quoi je m’étais attendu, me réceptionne méchamment. Ça n’a pas d’importance. Je me remets à courir. Dans les films, courir, c’est vivre.

                Une trentaine de mètre plus loin, je trébuche (évidemment) comme l’héroïne pitoyable que je suis, et m’étale face contre terre, scène qui aurait fait rire n’importe qui. N’importe qui sauf un garçon qui voit se rétamer celle qui a tué son amant. Je l’évite de justesse quand il se jette sur moi. Nous nous sommes un peu éloignés du manoir. Il ne manquerait plus qu’il pleuve pour rajouter au côté dramatique – et cliché – de la situation mais pas de chance, le ciel bien qu’encombré de nuages qui masquent les étoiles et la lune ne semble pas décidé à pleurer pour nous. Avant qu’il ne m’attaque à nouveau, je tente de parlementer.

                « Il n’est pas mort espèce de crétin ! »

Peu conventionnelle, mais efficace, au moins pour l’arrêter dans son délire vengeur. J’avoue que cela va au-delà de mes espérances. Il est en rage. C’est tant mieux.

                « Il n’est pas mort, mais je me demande bien ce que ça peut te faire. »

À la réaction impulsive succède le raisonnement, calme et posé, et ses traits se durcissent quand il comprend qu’il s’est trahi. Ça me fait  bizarre de le voir habillé de manière aussi formelle, les cheveux disciplinés, avec une mine si sérieuse. Un inconnu. Parler me fait mal à cause de ma lèvre fendue. Je grimace, j’ai encore plus mal, et donc grimace encore plus. Putain. Je lève les yeux au ciel.

                « Qu’est-ce que tu es venue faire ici Stefane ? Qu’est-ce qui a bien pu te passer par la tête ?

                -Je suis venu te chercher.

                -Mais pourquoi ? 

                -C’était mon intention depuis le début. Pour Tiph’. Mais… Je n’ai pas su me contrôler. Je l’ai vraiment tué tu sais. »

                Il grogne, je peux presque sentir la colère pulser dans ses veines.

                « Alors j’ai fait la première chose qui me passait par la tête. Je me suis ouvert les veines, et je lui ai fait boire. Presque tout ce que j’avais – pour quelqu’un à moitié humaine, le fait que ça ait marché était totalement inespéré, même si je comptais sur les fois où tu l’a toi-même mordu contre mon accord.

                -C’était même quasiment impossible.

                -N’oublie pas le scénario de film bidon. Je devais forcément y arriver. Je l’ai confié à Lukas, il devrait se réveiller bientôt. »

L’ironie du sort a voulu que Lukas, le seul dont le meurtre ne m’aurait pas dérangée, ne soit pas là la nuit dernière et qu’il échappe à mon délire. Ou peut-être l’avait-il prévu, peut-être a-t-il agit en conséquence, peut-être qu’il s’est juste trouvé ailleurs précisément à ce moment-là pour sauver sa vie et revenir plus tard. J’ai même tué ses parents. Mais peut-être qu’ils ne l’étaient pas vraiment, au fond. Laissons tomber tous ces « peut-être » et tous ces « et si » qui esquissent un futur que je ne connaitrais jamais. Je m’en fous. Cela n’a plus d’importance maintenant. Le temps presse. Le temps le temps le temps. On en a plus, du temps.

                « Ax, il faut que tu viennes avec moi.

                -Je ne m’appelle pas Ax.

                -Il faut que tu viennes.

                -Pourquoi ?

                -Tu es le cadeau que je compte offrir à Tiphaine quand il se réveillera. 

                -Mais encore ?

                -Tu es amoureux de lui. Peu m’importe qui tu es réalité, le monstre qui peut bien se cacher sous tes mèches bouclées. Je ne veux pas qu’il vive sans toi. Je ne suis rien pour toi, je sais. Mais lui, ce n’est pas pareil.

                -Pourquoi en es-tu aussi sûr ?

                -Regarde ta réaction à l’annonce de sa mort, sérieux. »

Cela au moins est un argument auquel il ne peut rien opposer. Force est de constater qu’effectivement, je ne représente strictement rien à ses yeux. Rien. C’est assez douloureux, mais pas insurmontable ; de toute façon, je l’avais déjà compris. Finalement je ne sers à rien, dans cette histoire stupide. Maintenant que j’y pense, j’ai laissé mon collier – le cadeau du vampire – à l’appartement. Tant mieux.

                « Je veux le revoir, c’est vrai. Je ne sais même pas pourquoi. Mais je veux le revoir. »

Il semble frappé lui-même par son propre constat. Perdu comme les premiers jours. Tu es là, Axel ? Tu existes encore ?

« Et ta femme ? Tu es marié, non ? »

Il hésite, réfléchit.

« Elle ne compte pas. Pas autant. »

J’ai gagné.            

                « Alors nous n’avons pas de temps à perdre. » J’ai gagné. Nous allons repartir ensemble, retrouver mon frère, il va se réveiller, et nous serons ensemble. Je m’apprête à me détourner mais me ravise. J’ai une dernière question.

« Au fait Ax, maintenant qu’on y est…

 

                -Pourquoi est-ce que tu t’es retrouvé en bas de mon immeuble, dis ? Qu’est-ce que tu avais fait ? »

Il se tait. Il semble curieusement mal à l’aise que je pose cette question somme toute parfaitement légitime. J’ai besoin de savoir, quel genre de personne j’ai sauvé ce soir-là, moi qui était si peu encline à aider les autres, même les gens bien. Il fixe un point infini dans mon dos quand il répond d’une voix blanche :

                « J’ai tué le plus jeune de mes frères. Assez cruellement à vrai dire. »

Je fais l’impasse sur sa dernière phrase, effaré. Un grand blanc, non, plutôt un noir immense se fait dans mon esprit. Un fratricide. C’est ça qui a déposé Axel sur mon pallier et dans ma vie. C’est de ça qu’est tombé amoureux mon petit frère. C’est pour ça que je me suis sacrifiée.

                « Je ne pouvais juste… pas le supporter. »

Pour une raison aussi triviale. J’ai sauvé quelqu’un qui était capable d’assassiner un membre de sa propre fratrie. Le point de départ de toute cette histoire, c’est...

« Normalement, j’aurais dû en baver beaucoup plus que cela. Devoir trainer comme un clochard dans les rues de Prague pendant quelques mois, ou même en mourir. Mais… tu m’as trouvé. Ça n’a pas vraiment plu à tout le monde que j’échappe ainsi à ma punition. »

                Tout ça pour cela.

                Je l’ai sauvé d’un sort amplement mérité.

                Voilà la raison, voilà le pourquoi. Voilà ce qui fait que je doive souffrir autant, que j’en ai été réduite à saigner mon propre petit frère, que je sois devenue plus sociable, que j’ai laissé Lukas piétiner ma carapace de glace.

                Je ne peux pas m’empêcher d’éclater d’un rire hystérique sous son regard empli de pitié qui me brise le cœur. Tout cela est horriblement drôle.

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