Alors voilà, c'est la fin. L'épilogue a son importance, c'est une sorte de conclusion, où tout reprend en quelque sorte sa place. Même s'il est un peu brouilllon et qu'on ne comprend pas vraiment tout, il est essentiel. Je vous remercie d'avoir lu jusque là - dites moi ce que vous en avez pensé - et on se retrouve pour mes prochaines histoires.
Bonne lecture !
Epilogue
Il fait froid, en ce soir de décembre. Non pas que je souffre réellement du froid bien sûr, mais je trouve tout de même cela désagréable. La nuit est tombée depuis un moment, il est donc l’heure pour nous de sortir sans crainte.
Cela va bientôt faire deux ans. Ça me rend un peu nostalgique. Il y a bientôt deux ans, je m’éveillais pour la première fois dans une chambre impersonnelle du manoir, perdu au milieu d’un vaste lit aux draps lisses et soyeux, sans identité et sans mémoire. Je me demande toujours ce que j’ai bien pu faire avant d’être transformée pour susciter autant d‘animosité chez mes semblables, surtout chez une certaine femme qui d’après ce que j’ai compris, aurait perdu son mari par ma faute. Je ne sais pas, j’ai cru comprendre que je l’avais tué alors que nous étions amis, ou quelque chose comme ça. Ça me parait un peu bizarre tout de même – comment un vampire et une humaine pourraient-ils être ami ? Il n’y que les films de science-fiction pour croire qu’une telle chose est possible. Toujours est-il que je ne suis pas très apprécié dans le domaine familial, mais ma mère a veillé à ce que je n’en ressente nullement les effets néfastes. Elle m’a choyé au-delà du raisonnable, d’une manière assez étouffante en fait. J’ai pourtant gardé un curieux sentiment de répulsion à son égard, quelque chose qui m’empêche définitivement de l’aimer. Idem pour Detroit, que je ne peux pas encadrer malgré tous mes efforts – peut-être pas très sincères, c’est vrai – et qui me le rend bien. En tout cas, ce soir, je fêterai mon second noël en tant que vampire.
J’ai souhaité pour cela rester à Prague. La ville dont je porte le nom me provoque toujours des émotions très vives, d’une intensité délectable. Je n’ai pas vécu bien longtemps, pourtant j’ai l’impression d’avoir fait trop de chose, pour ces premiers mois d’existence. Nous sommes passés devant l’horloge, comme souvent. Qu’est-ce qu’elle peut être belle… Il neige doucement sur la ville illuminée. Je préfère largement être ici qu’assister aux fêtes pompeuses que donnent mes parents aux manoirs. Je n’ai jamais eu le sentiment d’appartenir à cet endroit. Alors qu’à Prague, je me sens chez moi. J’aimerais la voir à la lumière du soleil, rien qu’une fois. Mais c’est une chose que notre condition de vampire nous interdit. C’est peut-être mon seul regret, la seule chose que j’envierais jamais aux humains qui, du reste, sont d’un ennui mortel.
La première personne que j’ai tué… c’était un garçon, un jeune homme d’une vingtaine d’année qui dormait dans sa voiture devant notre forêt. Je l’y ai trouvé le matin même de mon réveil, alors que la soif me tiraillait. C’est Sarajevo qui m’y a conduit. Elle est la première personne que j’ai rencontrée à mon réveil et elle a toujours été, depuis, près de moi. Heureusement. L’homme a fait une tête très bizarre, comme si il m‘avait reconnue, et c’était peut-être le cas, qui sait ? Ça me faisait une belle jambe.
Je suis venu avec mes deux « enfants ». Depuis que je les ai trouvés et mutés, ces deux-là, je ne m’en sépare plus, ce qui est assez surprenant pour être signalé étant donné que je ne supporte presque personne, à part Sara bien sûr, mais c’est différent. Le premier est un jeune garçon typé méditerranéen, que je croisais quelque fois au manoir en tant qu’humain à notre service, et l’autre est une fille de mon âge, ou en tout cas c’est ce que l’apparence nous dit. « Mandy » disait le pendentif accroché autour de son cou. Je les ai rencontrés lors de mon premier voyage à Prague, devant un garage de voiture, et j’ai immédiatement décidé de me les approprier tous les deux. Les humains à notre solde sont censés être protégé de ce genre de caprice, mais à ce moment-là, plus aucune règle n’avait pour moi le moindre intérêt. J’ai appelé le garçon Axel, et l’ai pris en temps qu’amant. Et la fille, Tiphaine, une sorte d’animal domestique, affectueuse et dévouée. Nous avons tout trois emménagé à Prague il y a quelques mois, dans un appartement du centre-ville, et je m’y sens vraiment chez moi, bien plus que n’importe où ailleurs.
Cela fait un moment que nous déambulons tous les trois dans les rues éclairées de ma ville de « naissance », bercé par les chants de Noël et assailli par l’odeur du vin chaud. Mes deux créations sont les seuls qui m’accompagnent quand je me déplace, je ne m’entoure pas d’une armée de sous-fifres comme mon frère, Detroit, et je n’ai pas le syndrome « famille nombreuse » de notre mère, qui est obligée de se rendre dans des villes au nom harmonieux pour agrandir le nombre de ses « enfants » - il n’y a que les siens qu’elle nomme ainsi, les autres membres de notre clan ont au moins la chance d’avoir des prénoms qui existent.
« Stef’ ! »
Je me tourne subitement vers l’origine de cette voix. Un adolescent aux cheveux caramel court vers un autre marchant un peu plus loin. Je ne sais pas pourquoi cette scène m’interpelle depuis l’autre côté de la rue. Je les trouve mignons. L’adolescent appelle son ami :
« Stef’ ! »
L’interpellé se retourne.
« Ax ! T’es en retard ! »
Axel, sans doute. Comme le mien.
L’espace d’un très court instant, j’ai l’impression que le temps s’est figé. Je me suis arrêté, envouté. Tiphaine, Axel et moi, nous sommes debout de notre côté de la route, cet autre Axel et ce Stefane – je suppose – sur le trottoir d’en face. Quelques secondes où je sens nos cinq présences s’entremêlés furtivement, une sensation à peine perceptible qui me fait suivre avec attention le couple – car c’est un couple, c’est évident – d’adolescent qui s’éloigne à présent par là où nous sommes venus. Leurs mains s’effleurent avec douceur tandis qu’ils cheminent côte à côte, leur regards chargé de tendresse les trahissent. Le deuxième, celui qui a les cheveux très courts et des yeux dérangeants, comme les miens, se retourne un bref instant. Nos regards aux teintes semblables se croisent sans vraiment se voir. S’accrochent brièvement, puis se relâchent aussitôt. Il se détourne, et je fais de même.
« Prague, ça va ? »
Je me retourne vers Tiphaine, inquiète comme toujours.
« Ça va. Ne t’inquiète pas. »
Ce garçon portait un collier très marrant, en forme de dent de vampire. Je ne savais pas que ça existait.
Il faudrait que j’en trouve un pour Sarajevo. Pour lui arracher un sourire, elle qui est si avare d’expression et de parole. Elle semble me porter une affection sans borne. Moi je l’adore comme une sœur, vraiment. C’est bien la seule que je considère comme telle d’ailleurs. Detroit est insupportable et Carthage est supportable mais on ne le voit pratiquement jamais.
Notre mère rentrera bientôt de Johannesburg avec un nouveau frère pour nous. Je ne sais pas pourquoi elle tenait à aller là-bas. Déjà Prague, ou Carthage, ce n’est pas terrible.
Mais Johannesburg, est-ce un nom franchement ?
Bah, on pourra toujours l’appeler Johann. En tout cas, moi, mon prochain « enfant », je l’appellerai Lukas.